La façon de comptabiliser sa participation dans le constructeur japonais évolue, ce qui engendre une perte considérable. Le français acte son détachement stratégique de son ancien allié.
C’est un marqueur supplémentaire du détricotage de l’Alliance entre Renault et Nissan. Le groupe français a beau détenir plus de 35% de son homologue japonais, il ne considère plus cet investissement de vingt-six ans comme stratégique. En conséquence, en conformité avec les normes IFRS, Renault revoit la façon dont il comptabilise sa participation dans Nissan. Et la facture est salée. Cette rectification comptable entraînera une perte de 9,5 milliards sur le résultat net du premier semestre 2025 du groupe Renault, qui sera publié fin juillet.
Dans le détail, la participation du Losange dans Nissan, jusqu’à présent mise en équivalence, sera considérée comme un actif financier évalué à la juste valeur par capitaux propres, estimée sur la base du cours de Bourse de Nissan. Or l’action Nissan ne cotait plus, au 30 juin 2025, que 350 yens, bien loin que de la valeur d’environ 1500 yens enregistrée dans les comptes. D’où la perte massive.
C’est une étape de plus dans le très long divorce entre les deux constructeurs. La crise a commencé, on s’en souvient, en 2018, avec l’arrestation au Japon du patron de l’Alliance Renault Nissan, Carlos Ghosn. Une façon pour le moins abrupte de mettre fin à près de vingt ans de partenariat, marqué notamment par le spectaculaire sauvetage de Nissan par Carlos Ghosn, au début des années 2000. De moribond, le groupe redevient un fleuron de l’industrie japonaise. Son patron est porté aux nues, sacré samouraï des temps modernes par la presse tokyoïte. Mais l’on finit toujours par brûler ce que l’on a vénéré.
Après deux décennies passées dans l’ombre du français, le constructeur nippon veut à nouveau voler de ses propres ailes. Depuis 2018, les relations entre les deux groupes n’ont cessé de se distendre, sous l’impulsion de la direction japonaise. Avec la conclusion, en 2019 puis en 2023, de nouveaux accords, donnant à chaque fois un peu plus de liberté de mouvement à l’ancienne filiale japonaise. Depuis décembre 2023, Renault a par trois fois procédé à d’importantes cessions d’actions Nissan. Au cours de cette période, la participation de Renault dans Nissan est passée de 43,4% à 35,71%. Chacune de ces cessions a permis au groupe français d’engranger du cash (1,6 milliard au total). Mais Renault a aussi dû enregistrer, aux mêmes moments, des dépréciations d’actifs, pour un total de 2,4 milliards d’euros.
Si Nissan a gagné en autonomie, ses performances n’ont, elles, cessé de plonger. En 2024, déjà, la perte de 4,2 milliards d’euros du japonais avait plombé les résultats annuels du Losange à hauteur de 2 milliards d’euros. Et ce alors que Nissan traverse une nouvelle crise. Pénalisé par la défiance de son ancien partenaire, le cours de Bourse du japonais a encore cédé du terrain mardi, en recul de 2,40%, à 342 yens. Un signal négatif de plus, alors que ses tentatives de rapprochement avec Honda et Mitsubishi fin 2024 se sont soldées par un cuisant échec et que ses ventes sont en perte de vitesse partout dans le monde : en Chine, où Nissan se fait tailler des croupières par les constructeurs locaux, et aux États-Unis, où les taxes douanières imposées par Donald Trump renchérissent ses modèles produits hors du pays.
Objectif : « dérisquer » la participation dans Nissan
« Compte tenu de l’incertitude liée à l’environnement tarifaire, les prévisions de résultat d’exploitation, de résultat net et de flux de trésorerie disponibles du secteur automobile pour l’exercice sont actuellement revues à la baisse », prévenait en mai Nissan en marge de la publication de ses résultats annuels, clos fin mars. Il est bien loin le temps où le constructeur japonais rétribuait généreusement son premier actionnaire. Au cours de la première décennie de l’Alliance, Nissan a versé 11 milliards d’euros de dividendes à Renault, quand le japonais en percevait un peu plus de quatre du français.
Or, pendant que Nissan sombrait, Renault jouait les phénix. Le moment est particulièrement bien choisi pour donner de la lisibilité et de la visibilité aux performances financières du groupe français. Elles ne dépendront plus que de son portefeuille de marques (Renault, Dacia, Alpine) et de services (Mobilize), sa participation dans Nissan n’étant plus consolidée.
À très court terme, cette évolution de la comptabilisation n’aura pas non plus d’impact sur la trésorerie ni sur les dividendes versés par le groupe français. Son principal objectif est bien de « dérisquer » à l’avenir l’effet de sa participation dans Nissan sur ses propres opérations. La perte de 9,5 milliards enregistrée au premier semestre est comme un solde de tout compte. À partir du 30 juin 2025, l’évolution de la valeur des actions Nissan détenues par Renault impactera le bilan de ce dernier, et non plus son compte de résultat ni les dividendes versés. Pour souligner cette différence, lors de la publication de ses résultats semestriels, à la fin du mois, Renault affichera un résultat net incluant la dépréciation d’actifs et un résultat net ajusté de cet impact. Le dividende sera calculé sur la base du second. Une bonne nouvelle pour les actionnaires de Renault, d’autant que le groupe maintient ses perspectives financières, avec une marge opérationnelle d’au moins 7% cette année, et une trésorerie nette de 2 milliards d’euros, ou plus. Les marchés financiers ont apprécié le signal. À Paris, le cours de l’action Renault affichait une légère hausse (0,87%), à 39,47 euros.
Enfin, l’opération, programmée avant l’annonce du départ de Lucas de Meo chez Kering, a une autre vertu. Son successeur n’aura pas à se soucier des atermoiements de la direction de Nissan. ■
E. B. et C. C.