C’est la soirée évènement du festival d’Avignon. Un concert hommage à Oum Kalthoum dans la mythique cour d’honneur du palais des Papes avec une pléiade d’artistes et intitulé La Voix des femmes. Abdullah Miniawy, Camelia Jordana, Danyl, Maryam Saleh, Natacha Atlas, Rouhnaa et Souad Massi célèbrent « l’Astre d’Orient », sous la direction de Zeid Hamdan. Un programme audacieux, transmis, en direct, le 14 juillet sur RFI et MCD.
RFI Musique : Le spectacle a été créé une première fois au Printemps de Bourges qui en est à l’initiative. Comment avez-vous accueilli cette proposition ?
Zeid Hamdan : Pour être honnête, le projet a été proposé à Khalil Hentati. Comme il ne pouvait pas le réaliser faute de temps, il m’a recommandé aux gens du Printemps de Bourges. Cela fait une dizaine d’années que je me suis fait un nom dans la réorchestration de grands classiques arabes. Ma reprise de « Ahwak » par Hiban Mansouri est redevenue un tube ; j’ai aussi beaucoup travaillé sur Asmahan avec Soap Kills, etc. Au début, cela suscitait l’hostilité des puristes, aujourd’hui, certains éditeurs m’envoient leurs catalogues ! Le Printemps de Bourges m’a donné la chance d’essayer. Ils m’ont conseillé Abdullah Miniawy, Camelia Jordana, Danyl, Rouhnaa et Souad Massi. J’ai fait venir Natacha Atlas et Maryam Saleh. C’est ainsi que cela s’est constitué.
Quel rapport entretenez-vous avec la musique d’Oum Kalthoum ?
Cela fait des années que j’essayais d’échapper à Oum Kalthoum ! J’ai toujours été vers des chanteuses comme Asmahan ou Fayrouz que je considère plus « peuple » dans leur format. J’avais du mal à apprécier les morceaux qui durent quarante-cinq minutes. Lorsque j’ai eu cette proposition, je me suis dit que j’étais peut-être mûr pour le faire ! (rires) Réactualiser son répertoire m’a poussé à l’écouter à cœur ouvert. Je connaissais superficiellement. Et je n’ai pas hésité une seconde. Elle a le feu ! Il y a un déchaînement charnel et passionnel chez elle. Oum Kalthoum, c’est la ville, le peuple dans sa masse, elle a quelque chose de sauvage. Elle est en transe. Elle vide ses tripes, répète les mêmes passages.
Comment avez-vous choisi ses chansons, notamment par rapport à cette contrainte de la durée ?
Ah, ça a été très facile ! J’ai laissé chaque artiste choisir, car c’était très important pour moi que chacun vienne avec un morceau avec lequel il a une relation particulière. Ce qui est rigolo, c’est que personne n’a choisi le même ! (Rires) Camelia Jordana a choisi « Enta Omri », Souad Massi « Hob Eih », etc. Quant à moi, j’ai écouté les morceaux choisis en boucle pendant trois ou quatre mois et les parties qui s’imposaient sont arrivées naturellement. D’une part, parce que de nombreux thèmes se répètent, d’une autre, parce que chaque chanson d’Oum Kalthoum est généralement constituée de trois thèmes qui sont donc trois chansons. Il ne s’agissait pas pour moi de faire des remix. J’avais envie de les jouer avec une forme moderne. Donc, il y aura un orchestre classique avec notamment du oud, des basses électro, des guitares, des synthés, parfois même de la funk ! Je suis sûr qu’elle aurait utilisé ces outils.
Figurent également deux rappeurs, le Franco-Algérien Danyl et le Franco-Suisse Rounhaa…
C’est une idée du Printemps de Bourges qui voulait ouvrir le spectacle à d’autres styles de musique, pour ne pas donner l’impression d’un hommage figé. Danyl et Rouahanna ont écrit leurs textes, puis ont travaillé avec l’orchestre pour adapter leurs compositions. C’est encore une autre manière d’entendre le style d’Oum Kalthoum. Et aussi un clin d’œil à leur relation intime et familiale avec cette chanteuse à laquelle ils ont été exposés par leurs parents. Cela sonne très naturel.
Justement, comment réorchestrer Oum Kalthoum sans la trahir ?
Je me suis amusé à suivre ma vraie passion, à savoir trouver des harmonies, à la guitare, qui me font comprendre comment évolue la mélodie pour créer sans la dénaturer. Tous les puristes avaient tendance à dire qu’on ne peut pas jouer cela en électro, car c’est très libre par rapport au BPM. Pourtant, en écoutant, j’arrivais à sentir un mouvement. Je l’ai mis dans mes logiciels et en traçant une médiane, on trouve bien le tempo des morceaux ! J’ai demandé à Uriel Bartelemy d’assurer, avec un métronome dont sera doté l’orchestre arabe, la section rythmique. L’orchestre évolue autour de ce métronome. J’ai créé une maquette pour chaque artiste à partir de laquelle ils ont pu travailler et s’approprier leurs morceaux. On a peu de répétition ensemble, mais l’équipe est constituée d’artistes de haut niveau, amoureux de ce projet. C’est une recherche. J’ai envie qu’à la fin de ce spectacle, on ait entendu de nouvelles suggestions d’orchestration et d’interprétation tout en respectant la forme originale. Avignon est le deuxième pas de ce travail qui ira ensuite à Marseille. J’aimerais qu’il existe en disque plus tard…
Cherchez-vous à atteindre le « tarab » cette extase mystique dans laquelle Oum Kalthoum excellait ?
Oui, à de nombreux moments, je répète trois ou quatre fois la même chose et je laisse le chanteur s’exprimer comme il l’entend. Ce n’est pas une interprétation stricte comme à l’opéra. Je n’ai pas fait de versions courtes. Maryam Saleh commence avec un morceau qui dure neuf minutes, par exemple.
Cinquante ans après sa mort, en quoi Oum Kalthoum avec sa musique est-elle encore moderne ?
Sa musique ne vieillit pas dans le sens où ce n’est pas quelqu’un qui a suivi un style et s’y est appliqué, mais elle n’est pas accessible à tous. Elle était en très belle synchronisation avec son époque dont elle a su capturer l’âme. Aujourd’hui, elle est moins exposée à la jeunesse, c’est pourquoi je sens que cet hommage, qui met en avant la beauté et la richesse des textes, écrits par les plus grands artistes de son époque, montre son caractère indémodable. Le barrage est aussi lié à la qualité des enregistrements et au rapport au temps qui a énormément changé. Mais, en l’écoutant, j’ai découvert que c’est moderne. Tu peux prendre une guitare, être avec tes amis et jouer Oum Kalthoum. Si tu es Européen, ça marche ! Et si tu connais le quart de ton, c’est encore mieux. Je veux montrer que cette musique noble et grandiose peut être jouée dans chaque maison pour la faire entrer dans les cœurs d’une autre génération.
Marjorie Bertin in RFI