L’ONU a confirmé, vendredi 22 août, qu’une famine était en cours dans le gouvernorat de Gaza, et qu’elle devrait s’étendre aux gouvernorats de Deir el-Balah et Khan Younès d’ici fin septembre. Plus d’un demi-million de personnes à Gaza affrontent des conditions « catastrophiques », le niveau de détresse alimentaire le plus élevé du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC). Une situation qui met les corps à rude épreuve, jusqu’à entraîner la mort.
Que se passe-t-il dans le corps quand on manque d’alimentation pendant des jours ou des semaines ?
Le corps a besoin d’énergie pour vivre ainsi que de vitamines et de minéraux (fer, vitamine A, zinc, etc.) afin de garantir le bon fonctionnement du système immunitaire et la croissance. Lorsqu’il est privé de nourriture, il doit s’adapter pour survivre.
« Le corps dispose d’un certain nombre de stocks d’énergie, sous forme essentiellement de graisses et de muscles, explique Éric Fontaine, nutritionniste et professeur au CHU de Grenoble. Donc, si l’on ne peut plus se nourrir, on prend sur nos réserves de graisses et de muscles. C’est le mécanisme de base. Puis, on diminue les dépenses, c’est-à-dire que l’on se met en mode économie. Chez l’enfant, la première des économies, c’est d’arrêter de grandir. Parce que grandir, ça coûte de l’énergie. Puis, le jour où il n’y a plus assez de réserves, les choses se compliquent grandement. »
Le système immunitaire s’affaiblit. « En règle générale, la cause de décès lors d’une dénutrition, c’est une infection, souligne le spécialiste. Parfois, c’est un problème cardiaque, mais c’est plus rare. Le plus souvent, quand on est dénutri, on finit par contracter une infection banale et en mourir. »
Comment la famine agit-elle différemment sur un enfant, un adulte, une femme enceinte ?
« Pour un adulte, on commence à parler de dénutrition à partir du moment où la personne a perdu 5% de son poids en un mois ou 10% en six mois, détaille le professeur Fontaine. Chez l’enfant, c’est plus compliqué, parce qu’avant de maigrir, les enfants arrêtent d’abord de grandir ou grandissent moins vite qu’ils devraient. Enfin, pour une femme enceinte qui ne mange pas, le bébé risque soit d’être tout petit, soit elle risque même de perdre son enfant. »
Mais tout le monde n’est pas égal face au manque d’alimentation. Les adultes ont des réserves plus grandes que les enfants et les personnes âgées, et peuvent logiquement tenir plus longtemps. De même qu’un adulte en bonne santé aura de meilleures réserves que quelqu’un de malade. « En gros, quelqu’un de jeune et en bonne santé peut survivre plusieurs jours sans manger, à condition qu’on lui donne à boire », résume le médecin.
Quelles conséquences physiques et psychologiques observe-t-on chez les adultes et les enfants en situation de malnutrition aiguë ?
« Chez l’adulte, le premier des signes, c’est l’amaigrissement. Souvent, le visage se creuse. Après, il y a une grande fatigue. L’épuisement provoque une forme d’apathie », décrit Éric Fontaine. Mais le manque d’alimentation peut aussi provoquer une perte de cheveux et rendre la peau plus fragile.
Chez l’enfant, l’amaigrissement est un signe de dénutrition très grave, rappelle-t-il. Une autre forme de dénutrition qui touche principalement les enfants est documentée à Gaza : le kwashiorkor. « Dans ce cas, le corps manque d’albumine qui – pour faire très simple – est une protéine qu’on a dans le sang et qui retient l’eau dans le sang. Donc il fait de la rétention d’eau. Ce sont ces images qu’on voit d’enfants qui ont un gros ventre, des œdèmes aux jambes ou aux bras », rappelle le nutritionniste et fondateur du collectif de lutte contre la dénutrition.
Une pathologie souvent liée à une infection, précise-t-il. « Quand vous n’avez rien à manger, vous n’êtes pas regardant sur la qualité du peu qu’on vous donne. Donc vous mangez des choses parfois souillées, et cela favorise les infections digestives, et puis, des choses qui ont un certain nombre de toxines parce que le produit a été mal conservé. Et ça aboutit à une anomalie de la fonction du foie, qui fait gonfler aussi cet organe. »
Pourquoi peut-on mourir de remanger après avoir traversé une période de malnutrition sévère ?
Après une période où l’organisme a manqué de nourriture, le corps est fragile. La réintroduction trop rapide d’aliments, surtout sucrés ou riches en glucides, peut provoquer un déséquilibre soudain dans le sang : certains minéraux comme le phosphate, le potassium et le magnésium sont aspirés rapidement par les cellules, jusqu’à provoquer ce qu’on appelle le syndrome de réalimentation.
« Renourrir quelqu’un de très dénutri demande une surveillance médicale et un certain nombre de précautions, prévient le professeur Fontaine. La réalimentation doit se faire progressivement. Il faut essayer de ne pas manger trop vite, pour ne pas risquer des complications cardiaques, neurologiques, qui peuvent aller jusqu’à la mort. »
On peut donc mourir de remanger. C’est ce qui a été documenté dans toutes les famines, mais aussi à la sortie des camps de concentration après la Seconde Guerre mondiale, où des survivants affamés sont morts après avoir reçu de la nourriture trop rapidement. Mais les médecins connaissent bien les procédures pour prévenir ce phénomène, avec notamment « la supplémentation en phosphore et en vitamine B1 ».
A. L.