
A Tigzirt, Hocine et Yasmina Lahilah, jeune couple à la tête d’Aqua-Bivalvia, supervisent la récolte de huîtres et de moules. « Nous avons obtenu deux concessions, une de 800 mètres carrés dans cette zone et une autre, en mer, d’une superficie de 5 hectares », explique Hocine. Le couple d’ingénieurs en sciences de la mer a bénéficié des mécanismes de soutien publics, notamment celui de l’Agence nationale d’appui et de développement de l’entrepreneuriat (Anade).
Après deux années de procédures administratives, Aqua-Bivalvia a lancé son premier cycle de production. Depuis sa création, l’entreprise des Lahilah a produit plus de 60 tonnes par an, et 15 tonnes d’huitres rien qu’en 2025. Des mollusques qui sont vendus à des poissonneries et à des restaurants de la région.
Cependant, Hocine déplore une nette baisse des naissains de moules qu’il attribue à la sécheresse : « l’absence de pluie a provoqué une diminution des nutriments charriés dans la mer. Lorsqu’il y a moins de nourriture, le processus de reproduction des moules est perturbé ».
Exigences sanitaires
Mohamed Haouchine, ex-enseignant-chercheur en biologie marine et expert référant pêche-aquaculture pour le programme Economie Bleue, reconnaît que l’approvisionnement en naissain est problématique. Néanmoins, il soulève un enjeu qu’il estime être plus important car lié directement à la santé des consommateurs. « Les mollusques bivalves sont des filtreurs capables d’accumuler les polluants marins. Il est donc primordial de procéder à un classement sanitaire des zones conchylicoles. » L’expert reconnaît que c’est un processus long qui nécessite des prélèvements réguliers afin de pouvoir classer les zones de provenance des bivalves : zone A pour les eaux saines (vente autorisée), zone B pour les eaux peu polluées, (production devant subir une purification avant la vente) et C eaux polluées (vente interdite et fermeture de la zone).
Plus à l’est, dans la région de Beni Ksila, l’entreprise Bougie Fish s’est spécialisée dans l’élevage de dorades royales et de loups de mer. Sofiane Djebbar, le directeur technique, décrit un travail exigeant. « C’est une activité complexe et très physique. Notre mission consiste à nourrir les poissons et à nettoyer les cages pour éviter le stress et donc les maladies. » Sofiane note que le mauvais temps représente une menace constante car il peut empêcher l’équipe de prendre la mer durant plusieurs jours avec le risque que cela représente pour la survie des poissons.
Pour sa part, Boualem Boudebza, directeur général de Bougie Fish, détaille les contraintes économiques. « Pour lancer un cycle complet de dix cages d’élevage de loups et de dorades il faut un budget moyen de 3 millions d’euros. Dans notre activité, le matériel et les intrants sont importés. Les frais de logistique, les assurances et les droits et taxes représentent 40% du prix de revient d’un kilogramme de dorade. »

Le potentiel aquacole est bien réel, son développement nécessite cependant un engagement actif de tous les acteurs, institutionnels et privés. Antonio Alaminos, océanographe et expert en aquaculture marine estime qu’en Algérie cette activité « est dans la même situation que l’Espagne durant les années 1990 ». « Les projets sont nombreux mais de taille modeste. Actuellement, le prix du poisson d’aquaculture est presque au prix du poisson sauvage, les producteurs bénéficient donc d’une marge commerciale très intéressante. Cela va encourager le développement de cette filière. Si le rythme est maintenu, l’Algérie pourra atteindre l’objectif des 20 000 tonnes de produits aquacoles marins dans les 5 prochaines années. »
Pour sa part, Mohamed Haouchine plaide pour de nouvelles mesures incitatives devant conduire à une « algérianisation » du secteur. « Pour développer l’aquaculture, il est nécessaire de considérer toute la chaîne de valeur : approvisionnement en alevins, l’alimentation, les infrastructures, la distribution et la formation ». Pour atteindre ces objectifs, la création d’écloserie d’alevins et d’usines de production d’aliments constituent les deux principaux défis pour réduire la dépendance aux importations.
Malgré les difficultés, les professionnels restent optimistes. Yasmina et Hocine envisagent de se lancer dans la culture de palourdes et de coquilles saint jacques, tandis que Boualem Boudebza s’apprête à augmenter sa capacité de production. Le développement de l’aquaculture marine en Algérie, bien qu’exigeant, est promis à un avenir prometteur.
T. H.
INTERFIL ALGERIE Soyez le premier informé