mardi 7 octobre 2025
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Crise politique en France : les inquiétudes des Européens après la démission de Sébastien Lecornu

Au sein des institutions européennes et dans les 26 capitales des autres États membres de l’Union européenne, la préoccupation vis-à-vis de la crise politique de la France est tangible, mais peu exprimée parce que la tradition veut qu’on ne commente pas la situation interne d’un autre pays, mais aussi parce que le danger est réel d’être accusé d’ingérence et donc de rajouter des problèmes. Il y a cependant de vraies inquiétudes, en partie politiques et en grande partie économiques.

« Une France stable contribue grandement à la stabilité de l’Europe », selon un porte-parole du gouvernement allemand ce lundi 6 octobre, un euphémisme politique au moment où le retour au pouvoir du Tchèque Andrej Babiš vient renforcer le clan des eurosceptiques en Europe centrale.

Mais c’est surtout un euphémisme économique. D’abord avec l’échéance du « semestre européen », le mécanisme qui demande aux 27 capitales de déposer en octobre leur projet de budget afin que la Commission émette un avis en novembre.

Sans gouvernement, la Francene tiendra pas l’échéance alors que la dette publique française (à 114% du PIB) est à près du double du plafond autorisé (60%). La France a promis à l’UE une trajectoire de redressement des comptes publics, c’est-à-dire de réduction des dépenses pour repasser d’ici à 2029 sous la barre de 3% de déficit contre plus de 5% aujourd’hui.

Ensuite, après l’Allemagne, la France est la deuxième économie de l’Union (et d’ailleurs aussi le deuxième plus gros contributeur net au budget de l’UE). L’incapacité de la France à monter un budget éveille des craintes de dérapage, qu’une crise budgétaire se transforme en crise financière et économique.

À Berlin, les responsables politiques ont préféré la retenue, la presse critique le rôle de Macron

La crise politique en France a été suivie de près en Allemagne, premier partenaire de la France en Europe. Les commentaires sont beaucoup moins sereins que la déclaration du porte-parole du chancelier, relate notre correspondant à Berlin. Le vice-président de la CDU Andreas Jung estime que la stabilité de la France est en question depuis les législatives de l’an dernier. Si le co-président de l’Assemblée parlementaire franco-allemande est rassuré par le cours pro-européen d’Emmanuel Macron, il s’inquiète des conséquences du déficit budgétaire et de l’endettement français.

Les commentaires de la presse allemande sont eux corrosifs : le quotidien conservateur Frankfurter Allgemeine parle de la « misère française » et du « patient français ». Le journal de centre-gauche Süddeutsche Zeitung dénonce un Emmanuel Macron « buté » qui ne gérerait plus que son héritage de façon « mesquine et presque infantile ». C’est aussi ce que pense le magazine Der Spiegel, qui évoque un président français « solitaire » dont les opposants se battent déjà pour sa succession.

Des Italiens soucieux de la situation politique française

Vu de Rome où l’on n’oublie pas certains propos offensants de la part de ministres ou de porte-paroles d’un gouvernement français envers des dirigeants italiens, voir la France aussi déstabilisée pourrait être un prétexte à de grands éclats de rire sarcastique. D’autant que le gouvernement Meloni est l’un des plus stables de l’histoire de la République italienne, rappelle notre correspondante à Rome. Mais pour l’heure, les Italiens se montrent surtout soucieux, comme en témoigne Lucio, ancien administrateur culturel : « Ce qu’il se passe en France me préoccupe. Alors, je dis aux Français, calmez-vous un peu, car nous vivons des temps très difficiles pour préserver l’Europe ».

Pour Domenico, commerçant dans le centre historique, la France est la nouvelle Italie, ce qui l’inquiète aussi : « La situation est très semblable à celle que nous avons subie par le passé. Je pense que le problème principal est lié au président Macron. Une France en crise, c’est nocif pour toute l’Europe. Mais Giorgia Meloni se renforcera certainement un peu aux yeux des États-Unis ».

Une certitude : la coalition de droite et d’extrême droite a remporté hier, pour la deuxième fois en huit jours, des élections régionales. D’abord dans les Marches, ancien fief de la gauche, puis en Calabre, la région la plus pauvre d’Italie.

L’art du compromis « à la Belge »

Emmanuel Macron s’est dit prêt à « prendre ses responsabilités » en cas de nouvel échec du Premier ministre démissionnaire Sébastien Lecornu, auquel il a donné 48 heures pour tenter des négociations de la dernière chance, selon l’entourage du chef de l’État. Pour la députée européenne belge Saskia Bricmont, la Belgique « a cette expérience, c’est l’expérience du compromis à la Belge, mais force est de constater que j’ai l’impression que le président Macron s’entête dans une stratégie à droite, alors que la France est coincée dans son modèle politique », résume-t-elle au micro de notre envoyé spécial à Strasbourg.

« Je pense que la culture du compromis gagnerait à s’étendre à la France aujourd’hui et je pense que c’est cela qu’il faut que Macron comprenne et qu’il s’ouvre aussi à la gauche pour faire en sorte de remettre la France sur les rails, parce que la France, d’un point de vue européen, est en train de perdre vraiment sa force et son poids politique sur la scène européenne. On le voit dans les discussions sur le traité commercial avec les pays du Mercosur, où la position de la France était très tranchée. Elle n’influence pas en fait le jeu politique européen, ce qui est quelque part préoccupant. Si je me mets du côté des Français et de la France, il est grand temps de passer à autre chose. »

M. B.