Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu a prévenu samedi 14 juin que son armée allait frapper « tous les sites du régime » en Iran. De son côté, le président iranien Massoud Pezeshkian avertit d’une riposte « plus forte » en cas de poursuite des frappes israéliennes. Pour Bernard Hourcade, directeur de recherche au CNRS au centre de recherche sur le monde iranien, la guerre qui se déroule entre Israël et l’Iran est une guerre « asymétrique ».
RFI : Pensez-vous qu’il y a une escalade et qu’une guerre est en train de commencer ?
Bernard Hourcade : La guerre, c’est un fait. La question est de savoir s’il y a deux partenaires. Comme à Gaza, il n’y a qu’un partenaire, il n’y a personne en face. Le Hamas a disparu militairement et l’Iran aujourd’hui est extrêmement affaibli, n’a pas d’armement sophistiqué et moderne. Et malgré les missiles qu’il peut envoyer sur Israël, il l’a montré hier soir, quelques dizaines de missiles facilement interceptés, l’Iran n’a pas les moyens de répondre à la guerre.
C’est donc avec la question politique qui se pose et de ce point de vue là, cette guerre dissymétrique avec Israël, qui sème un peu le chaos, qui a l’intention de toucher toutes les cibles – le nucléaire n’est qu’un prétexte, ce n’est qu’un élément –, toucher tous les sites de missiles, mais aussi les infrastructures économiques de l’Iran et les questions politiques. Donc, on est en face d’une guerre, effectivement, mais une guerre asymétrique.
D’autant qu’Israël a le soutien manifeste de Donald Trump dans sa campagne militaire contre l’Iran, a déclaré le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu. Il s’exprime dans un message vidéo en anglais adressé au président des États-Unis. Pas de condamnation américaine, donc, mais un soutien qui donne finalement les coudées franches à Israël.
Oui, et ça, ça peut surprendre, parce que Donald Trump ne voulait absolument pas d’une frappe contre Israël, parce qu’il voulait essentiellement négocier avec l’Iran un nouvel accord sur le nucléaire, et les choses étaient très bien avancées, et la prochaine réunion devait avoir lieu demain. Et donc cette opération israélienne a été faite contre Donald Trump et contre Emmanuel Macron à la fois. Il y avait deux dossiers importants. Il faut comprendre pourquoi c’est apparu aujourd’hui. Le problème nucléaire iranien a 30 ans, ce n’est pas d’aujourd’hui. Il n’y a pas d’urgence particulière. Les menaces ont toujours été là. Mais c’est une menace, ce n’est pas un acte.
Il y avait par contre une décision qui était de reconnaître la Palestine dans une conférence à New York dans quelques jours, à l’initiative du président Macron et du prince héritier saoudien. Et de l’autre côté, Donald Trump qui voulait un accord sur le nucléaire. Et les Israéliens ne voulaient ni l’un ni l’autre. Et donc Benyamin Netanyahu a lancé cette attaque pour briser à la fois les perspectives politiques au niveau de Gaza et briser les perspectives régionales, que l’Iran retrouve une place normale dans la région, ce que ne fait pas Israël qui veut garder le monopole de sa domination.
Dans ces conditions, pourquoi Donald Trump, qui dit avoir été prévenu à l’avance des frappes israéliennes, n’a pas opposé son veto, n’a pas dit à Benyamin Netanyahu « n’y allez pas » ?
Donald Trump n’est pas quelqu’un de fort. Donald Trump est un bateleur. Il dit oui, il dit non, il dit oui. Il va humilier Zelensky et il va le soutenir ensuite. Donc il a dans son camp des gens qui veulent la peau des Iraniens de façon traditionnelle, comme Netanyahu, d’autres qui disent que ce n’est pas rationnel. Si l’on veut que l’Iran soit un pays riche, important et nécessaire à la stabilité du Moyen-Orient et la reconstruction, il faut avoir l’Iran avec soi et ces deux cas sont là.
Et tantôt Trump dit « ne frappez pas », mais si les Israéliens frappent, il dit « bon, admettons la chose ». Et donc c’est l’incertitude de Trump et le fait qu’il n’y a pas de politique, c’est ça qui est très important. Dans la région, il y a encore 20 ans, les États-Unis faisaient la loi. Aujourd’hui, on se rend compte que Donald Trump est faible. Les États-Unis sont faibles et obéissent à Israël. Et donc par rapport à l’Égypte, la Jordanie, pour la Turquie, pour l’Arabie saoudite et les Émirats, il y a un changement de géopolitique très important. Désormais, c’est Israël qui domine le Moyen-Orient, ce qui peut poser des problèmes.
Vous l’avez évoqué, il y avait la diplomatie à l’œuvre pour régler la question du nucléaire iranien. Sur le moment choisi par Benyamin Netanyahu pour lancer cette opération qui a donc été préparée de longue date, peut-on dire qu’Israël attendait le bon moment, sachant que l’Iran a été affaibli ces derniers mois ? Est-ce que c’est cela le processus et le calendrier ?
Tout à fait. Israël a prévu depuis 30 ans de démolir le système nucléaire iranien, de s’opposer à la République islamique. Ce n’est pas nouveau, mais il fallait encore que les opportunités soient là. Tant qu’il y avait en Irak une population et un gouvernement qui n’étaient pas contrôlés par les États-Unis, et surtout quand en Syrie, le gouvernement était tenu par Bachar el-Assad, soutien des Iraniens et que le Hezbollah existait, il était impossible pour Israël d’attaquer l’Iran. Désormais, le Hezbollah est tombé, Bachar el-Assad est tombé. Les proxys en Irak ne sont plus aussi efficaces et seuls les Houthis qui sont très marginaux continuent d’exister. Autrement dit, Israël avait un boulevard.
L’Iran est nu et donc c’est facile de faire une parade militaire. Benyamin Netanyahu a fait un carton, les avions sont arrivés, ils ont bombardé ce qu’ils ont voulu, aucune résistance. Et donc c’est une situation exceptionnelle dont les Israéliens ont profité. Mais pour quoi faire ? La question, c’est : bombarder l’Iran, d’accord, on peut tout détruire et après ?
Mais là, en l’occurrence, ce sont plusieurs sites nucléaires, notamment le site d’enrichissement de Natanz qui ont été frappés. Ce qui fait dire à Benyamin Netanyahu, il y a de cela quelques heures, que les frappes ont porté un véritable coup au programme nucléaire de la République islamique. Cela veut-il dire qu’il a réussi son coup justement et que c’est un coup d’arrêt au programme nucléaire iranien ?
C’est le contraire, c’est pour le rebooster. Parce qu’un pays comme l’Iran, qui est très nationaliste, qui défend ses frontières, avec un gouvernement qui est affaibli, qui est en difficulté… Les Iraniens, pour la première fois, se sentent agressés et donc il n’y a pas d’autre solution. « On nous agresse alors qu’on n’a rien demandé, on n’a rien fait, on a insulté les Israéliens, le gouvernement iranien islamique a fait cela, mais ce n’est pas notre problème ». Donc, aujourd’hui, ils n’ont de solution que de se lancer dans le nucléaire et le vrai.
On peut détruire les sites nucléaires, les iraniens ont la technologie, ils ont le savoir-faire. Un savoir-faire, cela ne se détruit pas. Autrement dit, ils ont tué six ingénieurs, une vingtaine de généraux, cela se remplace facilement. Et l’Iran est un pays de 92 millions d’habitants. Et au contraire, l’attaque israélienne renforce le régime islamique qui était en très mauvaise passe et qui là va pouvoir dire « je défends la patrie, je défends l’Iran ». Et donc le nucléaire est un élément pour ce nouveau gouvernement de puissance. Et ça, c’est inquiétant.
La bande de Gaza est-elle devenue un théâtre d’opération secondaire pour Benyamin Netanyahu et son armée ?
C’est le but du jeu : oublier la Palestine. Il faut savoir que le nucléaire iranien a été lancé à partir de 2003-2004 comme un problème existentiel pour Israël. J’ai souvent été en discussion de ce point de vue là pour dire « regardez la menace, elle vient d’Iran, ne touchez pas la Palestine ». Et la colonisation s’est faite la Cisjordanie. Et c’est grâce à la menace iranienne fantasmée qu’on n’a rien pu dire contre l’annexion de la Cisjordanie et l’opération à Gaza. À nouveau maintenant, l’Iran apparaît comme un moyen de faire oublier Gaza et les crimes qui ont été commis. Et c’est ça qui, moralement, pose un vrai problème qui va se retourner contre Netanyahu un de ces jours.
L. C. in RFI