La molécule pourrait aider à ralentir le déclin cognitif des patients, voire leur permettre de retrouver la mémoire, selon une étude menée sur des souris.
Et si un élément naturellement présent dans l’organisme pouvait à la fois expliquer la cause de la maladie d’Alzheimer, et servir de traitement ? La réponse pourrait résider dans le lithium, suggèrent les travaux d’une équipe de chercheurs de la Harvard Medical School (États-Unis). Un nouvel espoir pour les quelque 35,6 millions de malades dans le monde – près de 1 million en France – et leurs proches.
Si l’on ne connaît pas encore les causes exactes de cette maladie neurodégénérative, deux types de lésions sont habituellement observés dans le cerveau des patients : des plaques amyloïdes et des agrégats de protéine tau, qui altèrent le fonctionnement des neurones. Néanmoins, on ne comprend pas encore l’ensemble de la mécanique à l’œuvre dans la maladie. Pour en savoir plus, l’équipe de Harvard, qui a publié ses résultats début août dans la revue Nature, a analysé dans des tissus cérébraux humains post-mortem 27 traces de métaux connus pour leur rôle dans le bon fonctionnement du cerveau. Le lithium était le seul qui était réduit de manière significative chez les personnes atteintes d’Alzheimer. Ce déficit pourrait-il être à l’origine de la maladie ?
Pour aller plus loin, les chercheurs ont soumis deux groupes de souris (des souris saines et d’autres génétiquement modifiées pour présenter certaines caractéristiques d’Alzheimer) à un régime alimentaire carencé en lithium. Ils ont constaté un développement accru de plaques amyloïdes. Une supplémentation en lithium pouvait-elle, au contraire, limiter la formation des plaques ?
Des essais cliniques avaient déjà été menés pour vérifier les effets du lithium sur le déclin cognitif, sans résultats probants. Mais les chercheurs de Harvard ont constaté que les plaques amyloïdes des souris semblaient « absorber » le métal, et ont alors posé cette hypothèse : et si la molécule utilisée dans la plupart de ces essais (du carbonate de lithium) était trop facilement « piégée » par les plaques amyloïdes ? Ils ont alors testé un autre type de sels de lithium, l’orotate de lithium. Non seulement il semblait avoir une action préventive chez les souris vieillissantes mais non malades, empêchant « le dépôt d’amyloïde, l’hyperphosphorylation de tau (deuxième caractéristique de la maladie NDLR), la neuro-inflammation et la perte de synapses, d’axones et de myéline », bref, toute la mécanique associée au déclin cognitif. Mais plus encourageant encore, les souris malades retrouvaient la mémoire.
La prudence reste de mise
Si ces travaux précliniques sont qualifiés de robustes par les experts interrogés par Le Figaro, la prudence reste de mise tant qu’aucun résultat n’a été obtenu chez l’homme. Le lithium est déjà utilisé chez l’homme, notamment comme un stabilisateur de l’humeur chez les personnes atteintes de troubles bipolaires. « L’avantage, c’est qu’on connaît donc déjà ce médicament et ses doses toxiques. Ici, les doses sont relativement faibles, donc elles ne devraient pas poser de problème », commente le Pr Philippe Amouyel, directeur de la Fondation Alzheimer. « D’ici 4 ou 5 ans, on pourrait voir les premiers effets cliniques sur des patients à des stades modérés ou très précoces. » « C’est le type de traitement qu’on aime bien car il fait gagner du temps : on connaît déjà les effets secondaires, donc on peut passer directement à la phase où l’on teste l’efficacité du traitement », abonde Jean-Charles Lambert, directeur de recherche Inserm, spécialiste de l’Alzheimer. Les experts mettent cependant en garde : si l’orotate de lithium se trouve déjà en vente en ligne comme complément alimentaire, il ne faut pas être tenté de se supplémenter sans attendre les résultats des essais cliniques et notamment d’en savoir plus sur les dosages adaptés et non toxiques, a fortiori chez des patients âgés et fragiles.
« Une multitude de facteurs jouent probablement » dans la maladie d’Alzheimer, rappelle en effet la neurologue Claire Boutoleau-Bretonnière, responsable du centre mémoire au CHU de Nantes. « Dans l’arsenal thérapeutique, que ce soit en prévention ou plus, le lithium peut avoir une place intéressante, mais sûrement pas seul. » Plusieurs avancées récentes montrent qu’« on est sur un changement de paradigme avec la maladie d’Alzheimer, positive le Pr Amouyel : 150 molécules sont en cours d’essai dans le monde, on a pour la première fois des effets sur les lésions. Mais cela reste une maladie complexe. »
Bénédicte Lutaud in Le Figaro