mardi 10 décembre 2024
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Maroc : la justice favorable à l’extradition d’un Français vers les Etats-Unis

La famille de Sébastien Raoult, recherché par les Etats­Unis pour cybercrime, réitère sa demande d’enquête en France

La menace d’un procès outre­-Atlantique et d’une centaine d’années de prison se rapproche pour Sébastien Raoult. Dans une décision rendue le 20 juillet et révélée lundi 8 août par l’Agence France-Presse, la Cour de cassation du Maroc a prononcé un « avis favorable » à la demande d’extradition du Français de 21 ans vers les Etats­-Unis. La famille du jeune homme accusé de cybercriminalité espère toujours qu’il soit récupéré à temps par la France. Originaire d’Epinal, Sébastien Raoult a été interpellé le 31 mai à l’aéroport de Rabat­-Salé, sur la base d’une fiche rouge émise par Interpol à la demande des Etats-Unis. La police fédérale américaine (FBI) le soupçonne en effet d’appartenir aux ShinyHunters, un cybergang dont le nom fait référence à l’univers des Pokémon et qui s’est spécialisé dans le vol et la vente de données. Selon l’acte d’accusation daté du 10 juin, consulté par Le Monde, les Etats-­Unis accusent Sébastien Raoult d’avoir participé au piratage informatique de plusieurs entreprises, notamment américaines. Suivant les peines maximales encourues pour les neuf infractions qui lui sont reprochées, il risque plus de cent ans de prison pour « conspiration en vue de commettre fraude et abus électronique », « fraude électronique » ou encore « usurpation grave d’identité ».

« Déni de justice »

Un « déni de souveraineté en sus d’un déni de justice », s’insurge l’avocat de Sébastien Raoult, Me Philippe Ohayon, qui a renouvelé sa demande d’ouverture d’enquête judiciaire en France, synonyme de mandat d’arrêt et d’extradition vers la France. « On va nous faire le reproche de court-circuiter la justice américaine, devance-­t-­il. Mais ce sont les Américains qui ont court-­circuité un dossier qui devrait donner lieu à une instruction française. » Selon lui, le piratage d’entreprises – certes étrangères – aurait eu lieu depuis la France, rendant la justice française compétente.

« La justice marocaine a été sollicitée par la justice américaine et nous n’avons pas la possibilité à ce stade d’intervenir », avait affirmé mercredi 3 août le ministre français de la justice, Eric Dupond-Moretti, sur BFM­TV. La question pourrait toutefois prendre un tournant hautement politique, comme en témoignent certains précédents. Selon la procédure marocaine, l’avis favorable de la Cour de cassation ne peut en effet entrer en application qu’après la signature par le chef du gouvernement d’un décret autorisant l’extradition vers l’Etat requérant. A ce stade, d’éventuelles pressions diplomatiques, parfois contradictoires, peuvent alors intervenir. Comme ce fut le cas avec le militant des droits de l’homme chinois d’origine ouïgoure Yidiresi Aishan, arrêté en juillet 2021 au Maroc sur la base d’une fiche rouge diffusée par Interpol à la demande de la Chine au motif d’appartenance à une « organisation terroriste ». La Cour de cassation de Rabat avait émis le 15 décembre 2021 un avis favorable à la requête chinoise d’extradition. Sept mois plus tard, le décret gouvernemental se fait toujours attendre, laissant deviner des manœuvres diplomatiques en coulisse, à l’initiative notamment des Etats-­Unis, qui avaient dépêché des observateurs lors de l’audience devant la Cour de cassation. Washington s’est en effet mobilisé ces dernières années pour défendre les militants de la cause de la minorité ouïgoure persécutés par Pékin. Pris en étau entre Chinois et Américains, le royaume chérifien semble tergiverser au sujet de M. Aishan. A l’inverse, la procédure d’extradition a été expéditive dans un autre dossier : celui d’Osama Al-Hasani, titulaire de la double nationalité saoudienne et australienne, arrêté le 8 février 2021 à Tanger à la demande de Riyad pour un vol de voiture. A peine plus d’un mois plus tard, le 11 mars 2021, le premier ministre marocain signait le décret d’extradition dans la foulée de l’avis favorable de la Cour de cassation. L’affaire n’a pas traîné, la diplomatie australienne s’étant apparemment peu mobilisée en faveur de M. Al­-Hasani. Au vu de ces deux précédents, l’implication – ou non – des autorités françaises pourrait peser lourd dans le sort qui sera réservé par les Marocains à Sébastien Raoult. Sur LCI, lundi 8 août, la porte­-parole du ministère français des affaires étrangères, Anne-­Claire Legendre, a déclaré comprendre « l’inquiétude de son père » et « tout faire (…) pour lui apporter toute la protection consulaire que nous pouvons ». Sans évoquer, publiquement, la possibilité d’une extradition vers la France.

Frédéric Bobin et Lucie Soullier in Le Monde