L’opération démontre une maîtrise de la chirurgie et des soins postopératoires
Quand commence l’histoire de la chirurgie ? Sur l’île de Bornéo, en Indonésie, des archéologues ont découvert, en 2020, le squelette d’un individu amputé du bas de sa jambe gauche. Cet individu aurait vécu il y a presque 31 000 ans et aurait survécu plusieurs années après son opération. Les détails de cette découverte ont été publiés dans la revue Nature, mercredi 7 septembre. Les fouilles n’ont pas été faciles à mener : « Elles ont eu lieu dans la grotte de Liang Tebo, située dans l’est de l’île indonésienne, qui n’est accessible par pirogue qu’une partie de l’année, pendant la saison des pluies », explique Maxime Aubert, archéologue canadien, professeur à la Griffith University (Queensland, Australie) et l’un des auteurs de l’étude. L’équipe d’archéologues y a trouvé des peintures rupestres et excavé une sépulture contenant un squelette installé en position fœtale, une boule d’ocre rouge à proximité de la bouche, ce qui le lie à l’époque des peintures retrouvées, estime M. Aubert. L’analyse au radiocarbone a ensuite daté cette découverte entre 30 000 et 31 000 ans. « C’est la plus vieille sépulture jamais trouvée dans les îles d’Asie du Sud-Est, où les squelettes humains datant de cet âge-là sont très rares », explique le chercheur. Mais la plus grande surprise a été de constater qu’il manquait une partie de la jambe gauche ainsi que le pied. Seules les parties supérieures des tibia et péroné gauches étaient présentes, et celles-ci étaient marquées par une « coupure très droite » ainsi que par des traces de « remodelage » sur l’os, c’est-à-dire d’une réorganisation osseuse à la suite d’une lésion. Bref, des preuves d’une amputation. L’individu serait un jeune adulte opéré entre six et neuf ans avant sa mort, durant son enfance. En effet, les os de la jambe amputée sont bien moins développés que ceux de la jambe droite, signe d’un arrêt de la croissance après l’ablation. De plus, aucune trace d’infection postopératoire n’a été retrouvée sur les os. Pour Maxime Aubert, cette observation et la survie sur plusieurs années de l’individu témoignent de réelles connaissances chirurgicales et de soin dans la société de l’époque. « Ils devaient savoir qu’il était nécessaire, pour la survie de l’individu, d’amputer la jambe. Et ils devaient aussi avoir de nombreuses connaissances sur l’anatomie humaine, par exemple pour éviter une perte de sang, ainsi que sur les plantes médicinales, avec des produits anesthésiques et antibactériens. » Une prouesse, réalisée à l’aide d’outils en pierre taillée.
L’aide cruciale du clan
Pour le paléopathologue français Philippe Charlier, « il s’agit d’une découverte importante sur l’histoire des pratiques chirurgicales et des soins, mais aussi sur toutes les conséquences sociales que cela implique concernant la survie de l’individu, sur son intégration au clan et les soins dont il a pu bénéficier [de l’aide pour changer ses bandages notamment] ». En 2005, il avait travaillé sur un cas similaire : un squelette retrouvé en Seineet-Marne, sur le site de Buthiers-Boulancourt, amputé de l’avant-bras gauche. Mais celui-ci ne datait que d’il y a 6 900 ans au maximum, en plein néolithique, à une époque où les humains s’étaient sédentarisés. Cette nouvelle découverte dans une société de chasseurs-cueilleurs invalide l’hypothèse selon laquelle la sédentarisation aurait été nécessaire au développement de connaissances médicales poussées.
Pierre Lalanne in Le Monde