jeudi 3 octobre 2024
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À qui va profiter le gaz africain ?

L’Afrique est de plus en plus courtisée par l’Europe pour ses réserves en gaz. À la suite de la crise énergétique, les investissements et les accords affluent. Sont-ils bénéfiques au développement du continent ?

La soif soudaine des Européens pour le gaz africain est, à première vue, une aubaine pour développer de nouveaux gisements. Depuis plusieurs mois, on voit les dirigeants européens multiplier les opérations séduction pour doper leurs importations. Au Sénégal, où le gisement de la Tortue doit produire 2,5 millions de tonnes de gaz dès l’an prochain, Olaf Scholz est venu proposer un large soutien financier pour passer à 10 millions de tonnes, un surplus qui sera bien sûr destiné en priorité à l’Allemagne. L’Italien Mario Draghi a fait une intense campagne en Algérie, suivi des dirigeants français. Le Nigeria et le Maroc ont récemment inauguré en grande pompe un projet de gazoduc de 5 000 kilomètres pour desservir l’Europe. Au total, les multiples projets gaziers du continent, certes pas tous financés, se montent à 400 milliards de dollars. Cela représente 15% du PIB africain.

Cette manne est providentielle, mais est-ce bien le moment de produire davantage de gaz pour l’export alors que les besoins intérieurs ne sont toujours pas satisfaits ?

Six cents millions d’Africains n’ont toujours pas le courant. Pas sûr que les nouveaux investissements leur profitent. Plus de la moitié sont réalisés dans l’extraction et non dans la distribution locale. Ils sont clairement destinés à l’étranger. Autre objection des ONG hostiles à ces projets : les retombées économiques sont improbables, comme l’enseigne l’expérience des grands pays pétroliers africains. Au Nigeria, longtemps premier producteur du continent, quatre habitants sur dix vivent encore en dessous du seuil de pauvreté. Au Mozambique, un pays classé parmi les plus pauvres au monde, Total prévoit d’investir 20 milliards de dollars pour exploiter le gaz off shore : un montant supérieur au PIB du pays. Le projet est actuellement suspendu, car au lieu de promouvoir le développement, il a surtout alimenté la recrudescence du terrorisme islamiste. À terme, le gaz sera exporté vers l’Afrique du Sud et l’Europe et son exploitation va surtout aggraver le stress financier de ce pays déjà surendetté.

D’autant plus que le changement climatique pourrait rapidement condamner les investissements dans les hydrocarbures.

Des ONG africaines, comme Power Shift Kenya, militent pour que les capitaux investis dans le gaz soient réalloués vers les énergies renouvelables. Mais évidemment, les Européens et les fonds pressés d’investir dans des projets destinés à l’Europe n’ont pas l’intention de financer du solaire ou de l’éolien. La Banque européenne d’investissement va à rebours de la volonté des États européens. Elle a confirmé en juillet qu’elle ne financerait plus de projets gaziers en Afrique, mais exclusivement du renouvelable. Une décision contestée par certains décideurs africains à la recherche de financement. Ils s’insurgent contre les diktats occidentaux.

En Europe, le gaz et le nucléaire ont été finalement considérés en janvier comme des sources d’énergie acceptables pour la transition énergétique.

Pourquoi la BEI refuse-t-elle de financer en Afrique ce qui est autorisé en Europe ? L’Afrique, qui n’est pas responsable des émissions de gaz à effet de serre. La consommation d’électricité émettrice de carbone par un Européen représente 25 fois celle d’un Africain, toutes sources d’énergies confondues. Dans un rapport sur les moyens de remédier au déficit énergétique africain, la fondation Mo Ibrahim souligne que le renouvelable fournit déjà 40% de l’électricité. Malgré tout, le gaz demeure indispensable pour l’industrialisation du continent, estime l’auteur du rapport, car les cimenteries ou les aciéries nécessaires pour construire les infrastructures sont très énergivores. C’est pourquoi, conclut la fondation, le gaz africain doit revenir aux Africains.

D. B.