mardi 22 octobre 2024
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Algérie : « Nous, la jeunesse algérienne, n’attendons rien de cette visite »

Emmanuel Macron est arrivé ce jeudi à Alger. Un déplacement après des mois de tensions entre les deux pays, très commenté par les Algériens.

LONGTEMPS, Mustafa, ancien commandant de la marine nationale, a fait le lien entre les deux rives de la Méditerranée. Au souvenir de ce temps où il menait des navires de passagers d’Alger à Sète ou Marseille, il énonce d’une voix posée : « La France sans l’Algérie, il y a un moins. Et l’Algérie, sans la France, il y a un moins aussi. » Assis sur un coin de trottoir de la rue Belouizdad, l’ancienne rue de Lyon où vécut Albert Camus, le retraité évoque avec pudeur la sale guerre qu’il a connue enfant. Et avec un certain fatalisme les tensions actuelles. « Il y a une douleur des deux côtés, mais il ne faut pas que ça dure. Il y a des générations qui montent. Il faut tourner la page », souffle-t-il, alors qu’Emmanuel Macron a atterri ce jeudi à Alger pour une visite de trois jours, avec pour objectif de réparer ce lien abîmé. « Un geste important », note Kamel, qui prend le frais au côté de Mustafa.

« Mettre les problèmes sur la table »

Après des mois de brouille, le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, a accueilli Emmanuel Macron en milieu d’après-midi sur le tarmac de l’aéroport Houari-Boumédiène. Poignée de main, accolade. Puis même une bise à l’arrivée au palais d’El Mouradia, où les deux chefs d’État se sont entretenus en tête à tête. À l’issue, Tebboune s’est félicité de « perspectives prometteuses » tandis que Macron a annoncé la création d’une commission d’historiens français et algériens sur la colonisation et la guerre. Tous deux avaient à cœur de faire oublier les maux de l’automne 2021, qui avaient débouché sur une crise diplomatique. Macron avait dénoncé l’exploitation d’une « rente mémorielle », s’interrogeant même sur l’existence d’une nation algérienne avant la colonisation. Si Mustafa a apprécié les multiples gestes du président français, il tique à ce souvenir. Alger avait alors rappelé son ambassadeur en France pour trois mois. « Macron va-t-il réparer ses bourdes ? », questionne en une le quotidien « le Soir d’Algérie », dans lequel est plongé Youssef. Pour ce dernier, ce voyage doit servir à « mettre les problèmes sur la table ». Au café l’Univers, institution du quartier Belouizdad, anciennement Belcourt, la télévision branchée sur Euronews ne loupe rien de la visite. Au comptoir, on entend : « Chaque président cherche ses intérêts et joue son jeu. » Pour quelles avancées ? « On va voir… » « Chirac, on aurait salué des deux mains ! Mais Macron, non ! », lâche Azzedine, enraciné dans le quartier au point de s’adjoindre (pour rire) une particule : « Azzedine de Belcourt ! » Malgré les regrets formulés depuis par Macron, cet artisan-bijoutier à la carrure de géant n’a pas digéré l’épisode de l’automne dernier. Il avait prévenu d’entrée de jeu : « Je défends à fond mon pays ! »

« Macron est venu trop tard, l’Italie a raflé tout le gaz »

La discussion tente de s’enclencher avec trois jeunes garçons à peine sortis de l’adolescence. Azzedine ne manque pas d’évoquer « les massacres », « le colonialisme » et « les soldats français » qui, enfant, lui « faisaient peur ». Et pourtant, il regrette que ces jeunes ne parlent pas le français. Ambivalent. Il voudrait plus de visas — un enjeu au centre de ce déplacement, mais aussi des tensions passées. Leurs aînés trentenaires, deux tables plus loin, sont plus diserts et tranchés. « Si on regarde toujours vers le passé, on ne verra jamais l’avenir. C’est malheureusement cette jeunesse-là qui en paie le prix », estime Ramzi en pointant ses cadets. Verbe haut, il voit « une seule façon de refermer la page » : « Si Macron veut faire un geste fort, il doit présenter des excuses au nom de la France. » N’est-ce pas lui, rappelle-t-il, qui, candidat à la présidentielle de 2017, avait parlé de la colonisation algérienne comme d’un « crime contre l’humanité » ? Ce fut au prix d’un tollé dans l’Hexagone. Le président n’a jamais réitéré le propos. Pour le reste… « En tant que jeunesse algérienne nous n’attendons rien de cette visite », lâche Ramzi, plus soucieux « des problématiques internes » à son pays et de clamer sa soif de « démocratie ». Il s’agace en estimant que Macron donne de « la légitimité » au pouvoir. À l’entendre, Azzedine bondit. Le débat s’élance, s’échauffe, émaillé d’une expression : « Conflit de générations ». Ils ne le réalisent pas dans leur emportement mais un point les réunit. Ce qu’ils veulent, entre l’Algérie et la France, c’est « un vrai partenariat », du « gagnant-gagnant ». Avec « de la réciprocité », dit Youssef, qui ne cesse d’évoquer « les transferts de technologie ». La nouvelle page, c’est aussi cela. L’Élysée a beau marteler que la question du gaz n’est « pas l’objet de ce déplacement », elle apparaît bien comme « un thème majeur » de ce déplacement aux yeux de ces Algérois. « Pourquoi Macron vient nous voir ? Parce que les vannes de la Russie sont fermées. Mais il est venu trop tard ! L’Italie a tout raflé », balance Azzedine. Il rit, puis avance : « Nous, on cherche des partenaires, de la relation d’égal à égal. » Ramzi ne dit pas autre chose : « C’est juste du commerce. » La discussion s’achève sur une invitation d’Azzedine à méditer ces mots : « On dit qu’après la discussion, il y a la lumière. »

Pauline Théveniaud, in Aujourd’hui en France