L’équipementier est en train d’accélérer dans les aides à la conduite grâce à une usine de caméras achetée il y a quinze ans
Galway, dans le Connemara, est plutôt agréable en cette période de l’année alors que l’Europe suffoque. Des milliers de touristes ne s’y sont pas trompés et naviguent de chaque côté de la rue principale, peuplée de bars à Guinness. À 40 kilomètres de là, dans l’arrière-pays, Tuam ne figure sur aucun guide de la région du Connacht. Les visiteurs étrangers sont pourtant nombreux à rejoindre le village. Valeo, l’équipementier automobile, a repris le site il y a tout juste quinze ans. Depuis, Tuam occupe une place stratégique dans le Meccano industriel du géant, qui compte 185 usines dans le monde, du Mexique à la Chine. Cet été, les 850 employés du site ne pourront pas s’offrir une longue coupure estivale. L’activité doit rester soutenue. À Tuam se fabriquent ces caméras devenues indispensables à une majorité de voitures neuves. Quand les pénuries de composants fragilisent toute l’industrie automobile, les pièces fabriquées ici ont toujours été livrées aux clients de Valeo. La barre des 100 millions de caméras produites a même été franchie au printemps. Christophe Périllat, le nouveau directeur général du groupe, a profité de l’occasion pour venir en personne féliciter les équipes irlandaises. Il a remplacé en janvier Jacques Aschenbroich, 68 ans, nommé président non exécutif d’Orange.
BMW, Jaguar Land Rover et Daimler comme clients
Christophe Périllat, depuis vingt-deux ans chez Valeo, connaît bien le site de Tuam, l’une des rares opérations de croissance externe réalisées par l’équipementier. « C’est une acquisition que j’ai soutenue personnellement, car j’ai immédiatement perçu qu’il s’agissait d’une pépite qui nous permettrait de renforcer notre position de leader dans les aides à la conduite, dont les fonctionnalités de parking. » Les caméras irlandaises de Valeo, de la taille d’une tête de punaise, se sont déjà installées dans des centaines de milliers de véhicules des groupes BMW, Jaguar Land Rover et Daimler. Leur présence à bord va encore s’intensifier : elles sont indispensables au véhicule intelligent de demain. L’avènement programmé de la voiture autonome va propulser les ventes de systèmes d’aides à la conduite de 15 milliards d’euros de chiffre d’affaires l’an dernier à 120 milliards en 2035. Peu d’industriels peuvent se targuer d’être positionnés sur un marché qui va être multiplié par huit en moins d’une décennie. En rachetant le site de Tuam en 2007, Valeo a fait en sorte de ne pas manquer le train. Entre ultrasons, radars, lidars et caméras, la voiture est déjà placée sous haute surveillance. Mais assister le conducteur dans le respect de la vitesse, le stationnement, ou détecter la présence d’un obstacle ne suffisent déjà plus. Demain, le conducteur doit pouvoir lâcher le volant sans limite de temps ; les navettes et les taxis, circuler sans chauffeur. L’intelligence artificielle et ses capacités de calcul et d’analyse décuplées vont le permettre. Pour anticiper toutes les situations et proposer le scénario le plus juste, la voiture autonome a besoin de données. C’est là que les images des caméras de Tuam entrent en jeu. Elles sont indispensables à cette prise de décision en temps réel. Ces « yeux » qui couvrent 360 degrés lisent la signalisation au sol, repèrent les rebords de trottoir et bien sûr tout ce qui peut être sur la route du véhicule. Ils permettent même déjà au conducteur de faire 200 mètres en marche arrière sans avoir besoin de toucher le volant ou de voir la route derrière une caravane ou une remorque. Toujours plus petites et plus légères, plus performantes quant à leur sensibilité, les caméras de Valeo sont capables d’opérer de jour comme de nuit, de résister à des conditions extrêmes, à des écarts de température, à l’eau, au gel, et cela pendant une quinzaine d’années. Véritables concentrés de technologie, elles mobilisent sur le site irlandais l’expertise de plus de 300 ingénieurs d’une trentaine de nationalités différentes. Ce pôle de compétences qui mêle mécanique, électronique, logiciel, intelligence artificielle et optique planche déjà sur la septième génération de caméras. « Nous ne nous contentons pas de les concevoir et de les produire ; nous les testons et les validons », remarque Peter Reilly, le patron du site.
Leur précision ne tolère aucune particule
Jeune diplômé à son arrivée à Tuam, il a connu toutes les phases de développement de la production et pilote la prochaine. Aujourd’hui, ce n’est plus dans un atelier mais dans des « salles blanches » que sont assemblés les composants des caméras. Leur précision ne tolère aucune particule venant fausser la focale. Ces espaces de production en environnement stérile sont en train de pousser sur le site irlandais pour suivre l’envolée de la demande. Celle-ci est liée à un autre principe de base de la voiture autonome : la redondance des équipements embarqués. « Imaginez que l’un des rétroviseurs qui comporte une caméra soit endommagé, le système de contrôle doit pouvoir continuer à fonctionner », plaide Diarmuid Doherty, le responsable de production. Impossible de prédire les normes qu’imposera le législateur quand les voitures sans chauffeur s’élanceront sur les routes. Aux États-Unis, une loi vient déjà d’être adoptée pour imposer la généralisation de caméras dans les véhicules de grande taille. « Si les aides à la conduite étaient réservées aux modèles les plus haut de gamme, elles vont se généraliser, comme le système de freinage ABS il y a vingt ans », prédit Peter Reilly. Pour devenir leader incontesté face à l’allemand Bosch ou à l’américain Continental, le groupe français est engagé dans une course à l’innovation mais aussi au volume. Face à la pénurie de composants électroniques, les plans de l’usine de Tuam auraient pu être perturbés… « La force de la chaîne logistique du groupe nous a permis d’éviter toute rupture de stock », se satisfait Peter Reilly, qui ne pensait peut-être pas un jour être aussi fier d’être français.
Sylvie Andreau in Journal du Dimanche