« Game over ». Selon plusieurs sources à Downing Street relayées par les médias britanniques jeudi 7 juillet au matin, Boris Johnson devait annoncer sa démission de manière imminente. Selon la BBC, il jette l’éponge en quittant la direction du Parti conservateur. Il va rester à Downing Street, de manière intérimaire, en attendant la nomination d’un successeur, à l’automne. « Le premier ministre va s’exprimer aujourd’hui », a précisé Downing Street, jeudi matin. Depuis le début de la matinée, la chute du premier ministre semblait inévitable, après que Nadim Zahawi, son tout nouveau chancelier de l’Echiquier, nommé deux jours plus tôt, lui a aussi fait savoir qu’il devait partir : « Ce n’est pas tenable et la situation va encore se détériorer si vous restez : pour vous, pour le Parti conservateur et surtout, pour le pays. Vous devez partir », a tweeté le responsable politique. Nommée mardi, la nouvelle ministre de l’éducation a également annoncé sa démission. La chute a été chaotique et laborieuse. Boris Johnson s’est accroché jusqu’au bout. Mais mercredi 6 juillet au soir, il avait perdu la confiance d’une grande partie de son groupe parlementaire, encaissé en moins de vingt-quatre heures la démission de plus de cinquante ministres, secrétaires d’Etat et assistants parlementaires – un record absolu pour un dirigeant britannique. Il refusait obstinément de quitter Downing Street, laissant dire par des proches qu’il était « combatif » et qu’il résisterait « jusqu’au bout » aux appels à la démission. Quitte à risquer de plonger le Parti conservateur dans une crise profonde et à laisser le Royaume-Uni avec un gouvernement exsangue, cerné par les rebelles et en incapacité d’agir. « J’ai jusqu’à présent résisté aux comparaisons entre Boris Johnson et Donald Trump, plus ce soir », tweetait, mercredi 6 juillet au soir, Andrew Neil, légende du journalisme politique britannique, résumant le sentiment d’incrédulité des médias nationaux, confrontés à un premier ministre refusant de se plier aux usages de la démocratie britannique. Une délégation de fidèles – dont Priti Patel, la ministre de l’intérieur – lui a offert une sortie honorable dans l’après-midi, lui signifiant que son heure était venue.
Mauvaise foi
Mardi 5 juillet, les démissions presque simultanées du chancelier de l’Echiquier, Rishi Sunak, et du ministre de la santé, Sajid Javid, semblaient pourtant avoir scellé le sort de Boris Johnson. Ces deux poids lourds du gouvernement jugeaient que la coupe était pleine après le « Partygate » – les fêtes à Downing Street en plein confinement –, avec la révélation d’un énième scandale : la démission, le 30 juin, du député conservateur Chris Pincher, après qu’il eut fait des avances non sollicitées à deux collègues hommes. Boris Johnson, qui avait promu Chris Pincher en février – ce dernier était en charge de la discipline de vote du groupe tory –, a d’abord fait savoir qu’il ignorait ces problèmes de comportement, avant d’avouer qu’il était au courant, faisant une fois de plus preuve de mauvaise foi. Le Parlement de Westminster en a connu beaucoup, des folles journées, depuis l’arrivée à Downing Street, à l’été 2019, de ce dirigeant connu pour son mépris des conventions et son rapport problématique à la vérité. Mais ce mercredi a surpassé toutes les autres en intensité dramatique, en moments chaotiques, surprenants ou tout simplement pathétiques. Programmée à midi, comme chaque mercredi, la séance des « questions au premier ministre » a montré toute l’étendue du désaveu à l’égard de Boris Johnson, les élus de son propre camp ne retenant plus leurs coups. « N’y a-t-il donc rien qui provoquerait votre démission ? » lui demande, incrédule, l’élu tory Tim Loughton. « Je reste en poste pour exécuter le mandat colossal confié par les électeurs lors des élections générales de 2019 », lui répond, bravache, le chef du gouvernement. « J’ai un plan », ajoute le dirigeant. « Ce sont des conneries », réplique l’élu tory Alec Shelbrooke, tandis que les députés de l’opposition travailliste crient « byebye » et que le chef de file des indépendantistes écossais, Ian Blackford, demande à Boris Johnson si sa lettre de démission est prête… La prise de parole, dans la foulée, de Sajid Javid est tout aussi pénible – « Le problème, avec ce gouvernement, vient de son sommet », assène l’ex-ministre tout juste démissionnaire. Tout comme l’audition, un peu plus tard, du chef du gouvernement devant le « comité de liaison », une commission parlementaire chargée de surveiller l’action de Downing Street. « Pourquoi ne partez-vous pas ? Ne pensez-vous pas à l’intérêt du pays ? », l’interroge le député travailliste Darren Jones. Boris Johnson ne perd pas contenance.
Tragi-comique
Interrogé par un député travailliste, il a par ailleurs confessé qu’il avait « probablement » rencontré l’ex-agent du KGB Alexander Lebedev, réputé proche du président russe, Vladimir Poutine, sans présence d’officiels britanniques, lorsqu’il était ministre des affaires étrangères, en 2018. Une information très dérangeante, que le premier ministre a longtemps niée et qui aurait fait la « une » des médias nationaux par temps calme. En milieu d’après-midi, les événements s’accélèrent. Tandis que les démissions de secrétaires d’Etat – à la famille, à l’éducation, au trésor, au Pays de Galles… – s’enchaînent trop vite pour que les journalistes parviennent à suivre le fil, une délégation de membres du gouvernement – dont la ministre de l’intérieur, Priti Patel, ou le ministre des transports, Grant Shapps – va à la rencontre de Boris Johnson pour lui signifier qu’il doit partir. L’affaire semble entendue et les rumeurs s’emballent : le dirigeant est sur le point de démissionner. Fausse alerte : Boris Johnson fait savoir qu’il entend « continuer ». Cité par Sky News, l’élu conservateur James Duddridge, assistant parlementaire de M. Johnson, assure même que le premier ministre prononcera le lendemain « un grand discours sur l’économie » avec M. Zahawi, qui l’a lâché jeudi matin… La soirée tourne au tragicomique quand la BBC et Sky News confirment que Boris Johnson vient de congédier un des derniers ministres qui lui reste : Michael Gove, un homme politique expérimenté, qui lui avait aussi demandé de partir. Les deux hommes entretiennent il est vrai, des rapports compliqués. Downing street qualifiait même le ministre du logement de « serpent ». L’intéressé avait sabordé la première campagne de Boris Johnson pour devenir chef du gouvernement dès 2016, en se présentant contre lui pour prendre la tête des tories après la démission de David Cameron, à l’issue du référendum sur le Brexit. Tous deux avaient échoué et c’est Theresa May qui était entrée à Downing Street. Déni de réalité, volonté de grappiller quelques heures ou tout au plus quelques jours de vie gouvernementale ? Mercredi soir, seule Nadine Dorries, la ministre de la culture, devenue la risée de Westminster pour son soutien inconditionnel à Boris Johnson, osait encore prendre publiquement son parti sur Twitter : « La priorité du premier ministre est de stabiliser le gouvernement, de fixer un cap pour le pays et de continuer à tenir les promesses faites aux Britanniques qui ont voté pour lui. » Jeudi matin, le ministre de l’Irlande du Nord, Brandon Lewis, a démissionné, de même que trois autres membres du gouvernement tandis qu’à Downing Street, Boris Johnson faisait savoir qu’il était occupé à remanier son gouvernement.
« Politique de la terre brûlée »
Mick Lynch, le secrétaire général du syndicat des transports RMT, devenu une vedette des médias et des réseaux sociaux grâce à son franc-parler, a tenté, fin juin, un portrait psychologique du premier ministre, lors d’un débat à la BBC : « Quoi qu’il fasse, il se moque de ses échecs, il n’a absolument pas honte de l’image qu’il donne de lui ou de son comportement.» Nombre de chroniqueurs politiques filaient pour leur part la comparaison avec l’ancienne première ministre Margaret Thatcher ou plus récemment Theresa May, qui, toutes deux, ont été démises par leurs propres élus conservateurs – la première en novembre 1990, la seconde en mai 2019 – mais sont parties dignement. Les dirigeantes avaient démissionné dès qu’elles avaient compris qu’elles n’avaient plus la confiance de leur cabinet. « La différence entre Boris [Johnson] et d’autres dirigeants du Parti conservateur, c’est que ces derniers se préoccupaient du parti, et quand ils ont compris qu’ils devenaient un handicap pour lui, ils se sont comportés de manière décente. [M. Johnson] s’en moque, il pratique la politique de la terre brûlée », estime Gavin Barwell, ancien chef de cabinet de Theresa May, commentateur respecté de la vie politique nationale.
Cécile Ducourtieux in Le Monde