« À quoi sert l’art ? » Célèbre dans le monde entier pour ses vérités peintes sous forme de mots, Ben, de son vrai nom Benjamin Vautier, artiste français d’origine suisse, a été retrouvé mort, à l’âge de 88 ans, apparemment d’un suicide, le mercredi 5 juin à son domicile situé route de Saint-Pancrace à Nice, selon le parquet. La France perd l’un de ses artistes les plus prolifiques et populaires.
La disparition de l’artiste a tout de suite fait réagir le maire de Nice, Christian Estrosi, sur les raisons de la mort de Ben. « Hier, j’apprenais la disparition d’Annie sa femme. Ils sont réunis comme ils l’ont toujours été », a écrit Estrosi sur son compte Instagram faisant allusion à Annie Baricalla, son épouse depuis 1964, morte des suites d’un AVC, et avec laquelle Ben avait deux enfants : Éva Cunégonde et François Malabar. Ben avait laissé un message expliquant qu’il ne pouvait pas vivre sans elle et qu’il décidait de la rejoindre.
L’œuvre de Ben pourrait être comparée à un océan de doutes et de ténèbres, mais dans lequel il toujours trouvé une lueur d’espoir. Peut-être pour cela, il a eu l’habitude de faire triompher ses lettres blanches sur un fond noir. « J’écris donc je suis », « prenez vos désirs pour des réalités », « ceci n’est pas une photo », « être libre »… Ses créations remplies de mots et de peinture se comptent en dizaines de milliers. Et le léger mépris qui régnait au début de sa carrière envers ses œuvres a vite fait la place à des rétrospectives majestueuses dans les lieux phares de l’art contemporain comme le Centre Pompidou à Paris et le Museum of Modern Arts à New York. Jusqu’à la fin de sa vie, ses créations étaient très demandées. Encore en 2022, le Musée d’art contemporain de Mexico, MUAC, avait célébré Ben sur 1 500 mètres carrés pour son « œuvre désinhibée, puissante et totale ».
Il a vécu ses cinq premières années à Naples, en Italie, là où il est né le 18 juillet 1935 sous le nom Ben Vautier. Sa mère était d’origine islandaise et occitane, son père suisse francophone. Lui-même, installé depuis 1949 à Nice, est entré dans l’histoire de l’art comme artiste français d’origine suisse. Et dans son approche de l’art et son identité artistique, Ben a toujours laissé sentir cette dimension de « pièce rapportée » qui n’appartient à rien vraiment tout en se réclamant de tout, affirmant que tout est art, l’art est la vie, et en art, tout est possible, réclamant le monde comme son atelier et le doute comme son royaume…
Son véritable atelier était situé à partir des années 1970 à Aspremont, une dizaine de kilomètres au-dessus des gorges fermant la vallée au-dessus de la ville de Nice. C’est là qu’il a fait ses écritures, signé ses tableaux, des gens, des photos, préparé ses actions et ses gestes bien à lui, ou réfléchi ses performances et happenings. Mais tout avait commencé à la fin des années 1950, dans une petite boutique dans laquelle Ben vendait des disques d’occasion et aimer regarder passer les filles, selon ses propres mots. Le petit magasin se transforme vite en lieu de rencontres et d’expositions. C’est ici que se côtoient les futurs artistes de l’École de Nice : Arman, Martial Raysse, César… C’est ici qu’il commence à signer tout et n’importe quoi. Selon son imaginaire, grandement influencé aussi par le mouvement Fluxus et le Nouveau Réalisme, le monde n’est rien d’autre qu’une œuvre d’art en attente à être révélé. Pour cela, il ouvre une galerie d’art à l’intérieur de sa boutique pour exposer les œuvres d’artistes en train de devenir célèbres, comme Bernar Venet, Christian Boltanski, Sarkis, Robert Filliou…
Sur le plan international, Ben réussit sa percée sur le marché de l’art en 1972, quand le fameux commissaire suisse Harald Szeemann lui demande de participer à la Documenta V aux côtés d’artistes comme Joseph Beuys. Lors de l’inauguration du Centre Pompidou à Paris, en 1977, Ben fait partie des grands de l’art contemporain. Et jusqu’à la fin, il a réussi à le rester tout en rajoutant son grain de sel à l’actualité et à la vie de tous les jours. Il a imposé ses idées aussi bien à travers ses proverbes, ses peintures, des cartes postales, des agendas ou en réalisant en 2008 les 42 noms de stations du tramway de Nice, suivant sa propre devise : « l’art est partout ».
S. F.