samedi 12 octobre 2024
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Didier Deschamps/11 questions pour une décennie

Du président de la République au sélectionneur croate, ils ont tous un lien avec Deschamps. À l’occasion du 10e anniversaire de son premier match à la tête de l’équipe de France, chacun a souhaité l’interroger.

LE 15 AOÛT 2012, il y a dix ans jour pour jour ce lundi, Didier Deschamps étrennait son costume de sélectionneur face à l’Uruguay au stade Océane du Havre (0-0). Une décennie s’est écoulée, marquée par la conquête d’une deuxième étoile en 2018 et un succès en Ligue des nations à l’automne 2021. Pour fêter cet anniversaire, nous avons imaginé de proposer à différentes personnalités du microcosme du football (dont 7 champions du monde tricolores actuels ou passés cumulant 684 capes), à une exception notable près, d’interroger le technicien basque en leur laissant carte blanche. Prévenu de ce projet rédactionnel, ce dernier a, derechef, donné son accord. L’avantage quand on sollicite des interlocuteurs pour un sujet se rapportant à Didier Deschamps est de voir la probabilité de refus réduite à la portion congrue. Cela en dit long sur l’estime et la considération escortant cet homme de conviction et de passion détenteur d’un des plus beaux palmarès du sport hexagonal. Certains de ces grands témoins, au nombre de onze comme une équipe de football, ont, tels Bixente Lizarazu ou Robert Pirès, vieux compagnons de route de l’épopée de 1998, reconvertis en consultants, usé du tutoiement pour l’interpeller. Cette même marque de proximité a été adoptée par Zlatko Dalic, le patron de l’équipe nationale croate, ou Guy Stéphan, l’indispensable et précieux adjoint à l’amitié infrangible. Emmanuel Macron, le président de la République, a, lui, validé sa question au sortir de sa tournée africaine fin juillet. Hugo Lloris était en Corée du Sud en stage d’avant-saison quand il nous a fait parvenir la sienne et son complice Raphaël Varane se préparait du côté de Perth, en Australie. L’humour à fleur de repartie, Deschamps a visiblement apprécié la nature éclectique de cet entretien débridé. Il a répondu avec des mots choisis sans réprimer, parfois, un petit sourire.

EMMANUEL MACRON PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE DEPUIS 2017

Durant votre carrière, vous avez chanté « la Marseillaise » à de très nombreuses reprises sur le terrain, comme joueur puis comme sélectionneur. Quelle est celle qui vous a le plus marqué ? Chaque « Marseillaise », monsieur le président, est pour moi un instant privilégié. À travers ce maillot, j’ai toujours eu conscience du privilège qui était le mien de représenter mon pays. J’éprouve toujours une grande fierté quand l’hymne retentit. Si je ne devais en retenir deux, ce serait celle du 12 juillet 1998, puis celle du 15 juillet 2018. À chaque fois en finale du Mondial. On a pleinement conscience qu’au bout il y a, possiblement, le titre et la possibilité d’installer la France sur le toit du monde et de rendre tous nos compatriotes fiers et heureux.

HUGO LLORIS CHAMPION DU MONDE 2018

Quel aspect dans votre rôle de sélectionneur a le plus évolué durant ces dix années ? DIDIER DESCHAMPS. II y en a deux, Hugo : le management des joueurs et les relations avec les médias. Le management prend davantage de place aujourd’hui, même si je me suis toujours attaché à créer une relation de confiance avec mon groupe. La nouvelle génération est plus dans l’affect, elle veut des échanges réguliers et permanents. Je m’y suis adapté. La sphère médiatique, avec la multiplication des différents supports, a beaucoup évolué, elle aussi. Cela nécessite plus d’énergie pour faire face à toutes ces obligations. Là encore, il a fallu s’adapter. C’est le maître mot pour un sélectionneur.

RAPHAËL VARANE CHAMPION DU MONDE 2018

Je figurais dans votre liste d’août 2012. Aviez-vous déjà en tête de préparer l’avenir en appelant de jeunes joueurs sans expérience internationale ? J’ai toujours fait confiance aux jeunes. Que ce soit en club ou en équipe nationale, l’âge n’a jamais été, à mes yeux, un critère de sélection. J’ai eu, sans cesse, la volonté de me projeter sur le moyen terme en oxygénant le groupe. Le talent n’a pas d’âge. Si je considère, pour le bien de l’équipe, le joueur de 20 ans supérieur à celui de 30, il sera titulaire. Après, on ne peut pas être performant au plus haut niveau uniquement avec des jeunes. Il faut trouver le bon équilibre.

PAUL POGBA CHAMPION DU MONDE 2018

Quelle est la différence majeure entre votre génération et celle d’aujourd’hui ? Celle d’aujourd’hui a ce mérite de vouloir s’imposer tout de suite. Elle se pose moins de questions. Tu es bien placé pour le savoir, Paul : quand un joueur de 18 ans est contacté par un grand club, même à l’étranger, il y va. J’y vois une force, pas de la prétention, même si tout ne vient pas en claquant des doigts. La génération actuelle est, aussi, différente de la nôtre car elle est connectée. Elle est née avec des nouveaux outils de communication. J’ai bien conscience que l’autonomie d’écoute chez les plus jeunes est plus réduite. Je m’adapte et je fais en sorte de ne pas faire des causeries excédant la dizaine de minutes. D’une façon générale, il ne faut pas opposer les générations. Ni chercher à savoir si l’une est supérieure à l’autre. Je m’emploie à prendre le bon côté chez chacune.

ANTOINE GRIEZMANN CHAMPION DU MONDE 2018

Y a-t-il un joueur actuel avec lequel vous auriez aimé jouer ? Toi qui me connais bien, Antoine, tu sais que je ne vais pas faire de jaloux en citant untel ou untel. (Rires.) J’ai eu la chance d’évoluer avec de très grands joueurs. Et j’en dirige aujourd’hui de tout aussi talentueux. Il s’agit d’être là, au bon moment, avec sa propre génération. J’ai pris beaucoup de plaisir avec la mienne et j’en prends aussi beaucoup à diriger la tienne qui m’apporte, elle aussi, énormément de joie et de bonheur.

BLAISE MATUIDI CHAMPION DU MONDE 2018

Quels ont été les éléments clés dans la préparation au succès de 2018 ? Il y en a tellement. Il a d’abord fallu établir une harmonie à tous les niveaux, sur le terrain et en dehors. On s’est attaché à façonner un groupe avec un mental de compétiteurs. L’état d’esprit ne suffit pas pour gagner une rencontre, mais il reste fondamental. Il y avait aussi la qualité et le talent. Notre finale perdue lors de l’Euro 2016 a aidé, c’est indéniable, dans la préparation de celle de 2018. Dans la manière d’appréhender l’événement. J’ai modifié des choses en deux ans car l’aspect émotionnel avait pris trop de place en 2016 et il ne fallait pas que ça se reproduise. On a tous retenu les leçons. Vous les joueurs, Blaise, comme nous, le staff.

ZLATKO DALIC SÉLECTIONNEUR DE LA CROATIE DEPUIS 2017

Si tu devais ressortir un souvenir marquant de tes deux confrontations face à la Croatie en Coupe du monde à vingt ans d’intervalle (demi-finale en 1998 et finale en 2018), quels seraient-ils ? Le match de 1998 offrait une place en finale. On était mal embarqués. On a même été menés au score. Pas longtemps, certes. On était un peu endormis face à un adversaire habile à nous faire déjouer. Je retiens le doublé de Lilian Thuram. Ça ne lui était jamais arrivé avant. Ni après, d’ailleurs. Le second est plus proche de nous. Il attribuait un titre. On avait une chance sur deux de lever la coupe. Pour toi, Zlatko, la déception a dû être immense. Avec ton équipe, dont le vivier repose sur un pays de 4 millions d’habitants, tu as réalisé un magnifique parcours. Pour nous, cette deuxième étoile sur le maillot reste quelque chose de magique. Brandir ce trophée, aussi. On était sur un nuage. Seul le sport procure ce type d’émotions, cette adrénaline. Ce succès matérialisait tout le chemin parcouru auparavant.

GUY STÉPHAN ENTRAÎNEUR ADJOINT DE L’ÉQUIPE DE FRANCE DEPUIS 2012

Nous collaborons maintenant depuis treize ans (3 à l’OM et 10 chez les Bleus). Au-delà du titre mondial, il y a eu des moments très forts émotionnellement. S’il ne fallait en retenir qu’un sur cette décennie ? Le match à Wembley, quatre jours seulement après les terribles attentats du 13 novembre 2015 qui ont endeuillé notre pays. Cette rencontre, c’était beaucoup plus qu’un match de football. Ça allait bien au-delà. Notre rôle dépassait le cadre du sport. Dans la solidarité face à la douleur, à la tristesse, nous avons vécu un moment très fort, un moment d’unité et de communion avec ce très bel hommage des Anglais. Un moment qui marque forcément les esprits parce que ça prend au cœur et aux tripes.

BIXENTE LIZARAZU CHAMPION DU MONDE 1998 CONSULTANT TF 1

Si tu pouvais rejouer la finale de l’Euro 2016, qu’est-ce que tu modifierais dans la préparation, la composition de ton équipe, voire dans la tactique du match spécifique à l’adversaire, le Portugal ? On ne peut pas revisiter l’histoire, Bixente. Si j’en avais le pouvoir, ce serait de nous donner un jour de repos supplémentaire. Trois jours plus tôt, contre l’Allemagne en demi-finale, on avait laissé beaucoup d’énergie. Sur le plan émotionnel aussi. Et on a payé le prix fort. On a clairement manqué de fraîcheur sur cette finale. Après, les aléas du match, le poteau rentrant ou sortant, il faut pouvoir les accepter, même si ça demeure pour moi, non pas un regret, mais une déception d’avoir laissé échapper ce titre. D’autant plus à domicile

ROBERT PIRÈS CHAMPION DU MONDE 1998 CONSULTANT M 6 ET CANAL +

Ta motivation et ton envie de continuer sont intactes. Est-ce qu’il y a une personne autour de toi qui t’aide à entretenir pareille flamme ? C’est d’abord un ressenti personnel, celui d’être habité par une force et une énergie qui te poussent à donner le meilleur de toi-même, à vouloir tout faire pour aller le plus haut possible. Ce ressenti, tu l’as ou tu ne l’as pas, mais tu ne peux pas l’améliorer ou le développer. J’ai toujours eu besoin de cette adrénaline que me procure le très haut niveau. Bien évidemment, j’ai autour de moi des personnes essentielles à mon équilibre. Elles m’accompagnent au quotidien. C’était le cas dans ma première vie de joueur. Ça l’est toujours dans ma seconde. Je pense à ma femme et à mon fils. Ils sont dépendants de ma situation. D’où je vais. Des résultats. Ce n’est pas toujours simple pour eux mais ils sont là et je sais que je peux compter sur eux.

NOËL LE GRAËT PRÉSIDENT DE LA FFF

Vous avez toutes les qualités requises. Pourquoi ne deviendrez-vous pas un jour président de la FFF ? (Il éclate de rire.) C’est gentil, président. Déjà, la place n’est pas libre. Vous l’occupez avec toutes les compétences nécessaires. Aujourd’hui, je suis et je demeure un homme de terrain. Ça ne fait donc pas partie de mes options dans l’immédiat. Mais je vous promets d’y réfléchir plus tard.

Harold Marchetti in Aujourd’hui en France