jeudi 3 octobre 2024
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Elargissement de l’OTAN : Ankara lève son veto

La Finlande et la Suède ont fait des concessions à la Turquie ce qui suscite des inquiétudes

Tout le monde sera sur la photo de famille. Après plusieurs semaines de tensions, la Turquie a finalement accepté de soutenir la demande de la Finlande et de la Suède de rejoindre l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). « Nous avons maintenant un accord qui ouvre la voie à l’adhésion » des deux pays scandinaves, s’est réjoui le secrétaire général de l’Alliance atlantique, Jens Stoltenberg, mardi 28 juin, à l’issue d’une réunion de près de quatre heures à Madrid entre le président turc, Recep Tayyip Erdogan, la première ministre suédoise, Magdalena Andersson, et le président finlandais, Sauli Niinistö. Les trois dirigeants ont « signé un mémorandum qui répond aux préoccupations de la Turquie, notamment à propos des exportations d’armes et de la lutte contre le terrorisme », a assuré le secrétaire général de l’OTAN, alors qu’un éventuel veto d’Ankara menaçait de polluer le sommet de l’Alliance atlantique, prévu jusqu’à jeudi dans la capitale espagnole. En acceptant de soutenir l’adhésion de la Finlande et de la Suède, la Turquie permet aux trente pays membres de la plus puissante alliance militaire de la planète de présenter un front uni face à la Russie, redevenue une menace directe depuis son invasion de l’Ukraine, le 24 février. Pour obtenir cet accord, les deux pays scandinaves ont dû faire d’importantes concessions à la Turquie, membre de l’OTAN depuis 1952. Dans le mémorandum signé par les trois capitales, la Finlande et la Suède reconnaissent que « l’un des éléments-­clés de l’Alliance est la solidarité inébranlable et la coopération dans la lutte contre le terrorisme, sous toutes ses formes et manifestations ».

Réactions indignées

Les deux pays affirment surtout que le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) est « une organisation terroriste » et s’engagent à « empêcher [ses] activités » ainsi que celles de « toutes les autres organisations terroristes et leurs extensions », citant notamment le Parti de l’union démocratique kurde en Syrie (PYD) et leur branche armée des YPG – alliée des Occidentaux contre l’organisation Etat islamique en Syrie. Ils s’engagent également à ne pas apporter de soutien au mouvement de Fethullah Gülen (FETÖ), considéré par Ankara comme l’instigateur du coup d’Etat du 15 juillet 2016. Ce prédicateur, ancien allié d’Erdogan et devenu son ennemi juré, vit aux Etats-­Unis. Plus précis encore, la Finlande et la Suède affirment dans les trois pages de mémorandum qu’ils traiteront « de manière rapide et approfondie » les demandes d’extradition de personnes de nationalité turque soupçonnées de terrorisme par Ankara, « en tenant compte des informations, des preuves et des renseignements fournis par la Turquie ». Les deux pays s’accordent également pour lever leur embargo sur la vente de certaines armes à Ankara, décrété en 2019 à la suite de l’incursion de l’armée turque au nord de la Syrie. Une demande récurrente de M. Erdogan. « Nous avons eu de longues et difficiles discussions pour en arriver là », a reconnu la première ministre suédoise, Magdalena Andersson, à l’issue de la réunion, à laquelle participaient aussi les ministres des affaires étrangères des trois pays. « Nous avons dû donner et recevoir », a-­t-­elle ajouté, estimant que « c’est un ensemble que nous, la Finlande et aussi la Turquie, pouvons accepter ». En amont du sommet de Madrid, une source diplomatique suédoise assurait que Stockholm « était allé loin » dans les concessions faites à la Turquie, notamment en matière de renseignement. Lors d’une visite au siège de l’OTAN, à Bruxelles, lundi, Mme Andersson avait affirmé que la Suède « ne sera pas un refuge pour le terrorisme. Les autorités compétentes travaillent d’arrache-­pied pour expulser les personnes susceptibles de constituer une menace pour la sécurité. Et il y a un nombre important de cas en cours de traitement ». Selon le quotidien Dagens Nyheter, les services du renseignement intérieur (SÄPO) disposent d’une liste d’« au moins une dizaine » de personnes ayant des liens avec le PKK, qui pourraient faire l’objet d’une extradition vers la Turquie. Ces concessions ont semé le trouble parmi la communauté kurde de Suède, composée de quelque 100 000 personnes. « Je suis un peu inquiet, car je ne sais pas ce que la Suède et la Finlande ont promis à la Turquie », a réagi le journaliste suédois d’origine kurde Kurdo Baksi, qui craint notamment que Stockholm accepte d’extrader vers la Turquie « des Kurdes ou des Turcs défenseurs de la démocratie qui ont cherché un refuge en Suède ». Le mémorandum semble aussi aller à l’encontre de l’accord passé par les sociaux­-démocrates suédois avec la députée indépendante d’origine kurde Amineh Kakabaveh, qui, en échange de son soutien à l’élection de Magdalena Andersson, avait obtenu la promesse que le parti approfondirait sa coopération avec le PYD. Signe de cette préoccupation, il n’a fallu que quelques heures pour que les réactions politiques d’indignation émergent en Suède. « Erdogan a fait pression sur la Suède pour qu’elle s’adapte de façon honteuse. Nous savons qu’il appelle terroristes tous les Kurdes qui se battent pour la liberté », s’est enflammé le député Hakan Svenneling, porte-­parole des questions de politique étrangère auprès du Parti de gauche. « Le gouvernement sacrifie les Kurdes de Suède pour devenir membre de l’OTAN. (…) La Suède vient de décider que davantage de personnes seront expulsées selon une procédure judiciaire sans possibilité de faire appel », a abondé sa collègue Linda Snecker.

« Victoire nationale »

Désireux de rassurer ses concitoyens, le président finlandais, Sauli Niinistö, a, de son côté, assuré que si son pays prenait au sérieux les préoccupations de la Turquie concernant le terrorisme, Helsinki continuerait de respecter ses politiques existantes en matière d’extradition. « Nous renforçons notre coopération en matière de lutte contre le terrorisme, les exportations d’armes et les extraditions, mais la Finlande continue naturellement de fonctionner conformément à sa législation nationale », a-­t-­il déclaré dans un communiqué publié à l’issue de la réunion. A l’inverse, Ankara s’est félicité de l’accord obtenu à Madrid. Dans un communiqué rendu public mardi soir, la présidence turque a assuré avoir obtenu « ce qu’elle voulait », à savoir « la pleine coopération » de la Finlande et de la Suède dans la lutte contre le PKK, interdit en Turquie, et sa filiale syrienne PYD.

Sur les réseaux sociaux, mardi soir, les partisans d’Erdogan saluaient une « victoire nationale ». Selon différentes sources, la levée du blocage turc serait intervenue après que le président américain, Joe Biden, s’est entretenu par téléphone avec M. Erdogan. Mais rien n’a filtré de leur conversation, si ce n’est que l’assouplissement de la position d’Ankara ne serait pas lié au règlement du contentieux sur la fourniture d’avions américains F­16 aux forces armées turques. Les Etats­-Unis n’ont « rien offert » à Ankara pour obtenir la levée de son veto, a insisté un haut responsable de la Maison Blanche, lors d’un entretien, mardi soir, avec des journalistes, cité par l’Agence France­-Presse. Signe d’une certaine prudence, peu de dirigeants européens ont réagi à l’annonce de l’accord, tôt mercredi matin. « L’adhésion de la Suède et de la Finlande va rendre notre brillante alliance plus forte et plus sûre », s’est seulement félicité le premier ministre britannique, Boris Johnson. Emmanuel Macron, qui n’a pas fait de déclaration publique, devait à son tour s’entretenir avec son homologue turc mercredi matin, en marge du sommet de l’OTAN, à Madrid. Avant d’être effective, l’adhésion de la Suède et de la Finlande devra être ratifiée par les Parlements des trente pays membres de l’Alliance atlantique, un processus avant tout formel, mais qui pourrait s’étaler sur un an. Ce sera la neuvième vague d’élargissement de l’OTAN depuis sa création, en 1949, la dernière remontant à 2020, avec l’intégration de la Macédoine du Nord.

p anne­françoise hivert, marie jégo et cédric pietralunga in Le Monde

 

S O M M E T   D E   L’ O TA N

La Russie, une « menace directe » pour l’Alliance atlantique

La Russie représente une « menace directe » pour la sécurité des pays de l’OTAN, réunis en sommet à Madrid, a déclaré mercredi 29 juin Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l’Alliance atlantique qui va renforcer son flanc oriental en réponse à l’invasion russe de l’Ukraine. « Nous allons dire clairement que la Russie représente une menace directe pour notre sécurité », a-t-il affirmé en ouverture du sommet qui doit réviser la feuille de route de l’Alliance pour la première fois depuis 2010. Le sommet de Madrid est « historique » alors que l’OTAN vit « sa crise sécuritaire la plus sérieuse depuis la seconde guerre mondiale ».