Donald Trump devra attendre pour retrouver son compte Twitter, qu’Elon Musk souhaitait rétablir : le patron de Tesla et fondateur de SpaceX a fait savoir, vendredi 8 juillet, dans un document transmis aux autorités boursières américaines, qu’il refusait d’acheter le réseau social Twitter pour 44 milliards de dollars (43,2 milliards d’euros), accusant l’entreprise d’avoir fourni des données « fausses et trompeuses » sur le nombre de comptes faux ou dormants. C’est donc une bataille judiciaire qui s’engage, dans la mesure où le conseil d’administration du réseau social entend forcer la vente. « Le conseil d’administration de Twitter s’est engagé à conclure la transaction au prix et aux conditions convenus avec M. Musk et prévoit d’intenter une action en justice pour faire respecter l’accord de fusion. Nous sommes convaincus que nous l’emporterons devant la cour du Delaware », l’Etat où aurait lieu le procès, a immédiatement riposté Bret Taylor, président du conseil du groupe. Vendredi, après clôture de la Bourse de New York, l’action Twitter était en forte baisse, de 5 %, autour de 35 dollars, bien en deçà du prix de 54,20 dollars, proposé par Elon Musk, en avril. Il n’est pas certain que le milliardaire de 51 ans parvienne à ses fins, selon l’analyse des juristes américains cités par la presse. L’homme le plus riche du monde, dont la fortune en 2022 est estimée à 220 milliards de dollars par le magazine Forbes, doit verser un dédit de 1 milliard de dollars s’il n’arrive pas à réunir les financements nécessaires. Mais cette somme n’est pas un saufconduit pour échapper à la vente. Pour cela, il faudrait que des événements substantiels affectent l’entreprise, ce qui n’est pas prouvé. Les tribunaux pourraient ainsi forcer la vente. Dans leur courrier à la Securities and Exchange Commission, l’autorité de régulation de la Bourse, les avocats de M. Musk avancent une série d’arguments pour justifier cette thèse, notamment des « perspectives commerciales et financières en baisse ». Ils dénoncent la mauvaise volonté de l’entreprise : « Parfois, Twitter a ignoré les demandes de M. Musk, parfois il les a rejetées pour des raisons qui semblent injustifiées, et, parfois, il a prétendu s’y conformer tout en donnant à M. Musk des informations incomplètes ou inutilisables. » La volonté de retrait d’Elon Musk n’est pas une surprise. Dès le 13 mai, il avait annoncé que son acquisition était en suspens, en raison de manque d’informations sur les fameux comptes suspects, dont il estime qu’ils peuvent atteindre 20 % du total. Cette acquisition, faite au nom de la défense de la liberté d’expression, avait un côté caprice coûteux de la part de M. Musk, qui s’exprime sur Twitter en totale liberté depuis des années. En avril, il avait annoncé, à la surprise générale, avoir acquis 9,2 % du capital de l’entreprise. Mais le prix proposé est depuis devenu extrêmement élevé avec la chute des valeurs technologiques à Wall Street. Au moins M. Musk a-t-il pour lui d’avoir cédé, pour financer cette acquisition, 8,5 milliards de dollars d’actions Tesla à un prix moyen de 883 dollars, alors qu’elles ne cotent plus aujourd’hui qu’à 752 dollars. Toutefois, ses tergiversations et ses multiples tweets ont beaucoup nui à sa réputation, révélant un tempérament fantasque et donnant le sentiment qu’il n’est pas concentré sur les deux entreprises les plus importantes de son empire, Tesla et SpaceX. Elon Musk a depuis des mois multiplié les déclarations à l’emporte-pièce. Il s’oppose frontalement au président américain, Joe Biden, qui a snobé Tesla depuis le début de son mandat, sous prétexte que l’entreprise n’a pas de syndicat. L’entrepreneur doute que Joe Biden soit aux commandes : « Celui qui contrôle le téléprompteur est le vrai président ! », tweete-t-il désormais. A la mi-juin, le natif d’Afrique du Sud a annoncé avoir voté pour la première fois républicain – en faveur de la candidate d’origine mexicaine Mayra Flores, lors d’une législative partielle de l’Etat du Texas, où il réside désormais. Il a aussi prédit « une vague républicaine massive » pour les élections de mi-mandat, en novembre. Et, pour la présidentielle de 2024, c’est le gouverneur de Floride, Ron DeSantis, ancien protégé de Donald Trump, qui a ses faveurs.
« Boris Johnson de la tech »
De plus en plus clairement, les idées libertariennes de M. Musk le font basculer dans le camp républicain. Ces derniers jours, ce sont ses déclarations en faveur de la natalité qui l’ont occupé. La presse a révélé qu’il avait eu, en 2021, des jumeaux avec une dirigeante de son entreprise Neuralink, ce qui porte à dix le nombre de ses enfants, dont un est décédé. Ce vendredi, M. Musk, qui déplore le faible taux de natalité américain, ne parlait d’ailleurs pas de Twitter, mais d’aide aux familles : « Les enfants en valent la peine. Je prévois d’augmenter considérablement les allocations de garde d’enfants dans mes entreprises. Espérons que d’autres entreprises fassent de même », a-t-il tweeté, entendant donner des détails « le mois prochain ». Pendant ce temps, le réseau social Twitter est en lambeaux. Son patron, Parag Agrawal, n’en finit pas de remanier ses équipes. En mai, il a limogé deux dirigeants, Kayvon Beykpour et Bruce Falck, qui supervisaient les produits de consommation et les revenus de Twitter, y compris l’ingénierie, le service clients et les opérations. Il a aussi réalisé des licenciements dans la cellule d’embauches. M. Musk a mis le désordre dans les équipes en les interpellant directement et en évoquant ses projets, comme la possibilité de corriger des tweets déjà publiés. Le réseau social ne parvient pas à décoller, sa valeur boursière étant inférieure à son cours d’introduction sur les marchés, en 2013, où il avait fini la journée à 45 dollars. Toute l’affaire est un immense gâchis, et les règles boursières ont été pour le moins malmenées. Le financier Ross Gerber résumait le sentiment ambiant sur Twitter : « Ce n’est certainement pas la façon d’acheter une entreprise. Probablement pour le mieux pour Elon, à long terme. Ça va être un divorce très compliqué. Résultat décevant à bien des égards. » Le Prix Nobel d’économie (2008) Paul Krugman a été plus acerbe : « Il faut que quelqu’un le dise : compte tenu de sa faible capacité à contrôler ses impulsions, Elon Musk ressemble au Boris Johnson de la tech. » Au moins tente-t-il tardivement de quitter le navire Twitter, tandis que les actionnaires de Tesla sont un peu rassérénés, avec un patron désormais plus concentré sur l’avenir de cette entreprise : l’action du constructeur gagnait plus de 2 % après la clôture.
Arnaud Leparmentier in Le Mond