mercredi 23 octobre 2024
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Équateur : le président déclare le pays en état de « conflit armé interne » après une prise d’otage en direct

Dernier et spectaculaire épisode d’une crise sécuritaire sans précédent en Équateur, des hommes armés ont fait irruption mardi après-midi 9 janvier sur le plateau d’une télévision publique à Guayaquil (sud-ouest), prenant brièvement en otage journalistes et autres employés de la chaîne. Dans la foulée, le président Daniel Noboa a déclaré son pays en état de « conflit armé interne » et ordonné la « neutralisation » des groupes criminels impliqués dans le narcotrafic, selon un décret rendu public mardi.

« Ne tirez pas, s’il vous plaît, ne tirez pas ! », crie une femme au milieu des coups de feu, tandis que les assaillants, munis de pistolets, fusils à pompe et certains de grenades artisanales, frappent et forcent les personnes terrorisées à se mettre au sol.

Encagoulés, sous des capuches ou en casquettes, visage à découvert, plusieurs se filment et font avec les doigts des deux mains les habituels signes de reconnaissance des bandes criminelles liées au narcotrafic qui font régner la terreur en Équateur.

« Ils sont entrés pour nous tuer, mon Dieu, protégez-nous », a envoyé à un correspondant de l’AFP, dans un message WhatsApp, l’un des journalistes captifs. Des plaintes sont audibles en bruit de fond.

Au milieu des coups de feu, la diffusion de ces images surréalistes se poursuit en direct pendant de longues minutes, malgré l’extinction des lumières sur le plateau et la caméra qui se fige. Jusqu’à apparemment l’intervention de la police aux cris de « Police, police ». « Les unités de la police nationale (…) ont été alertées de cet acte criminel et sont déjà sur les lieux », a déclaré la police dans un message à la presse. Avant de poster sur le réseau social X des images de plusieurs hommes interpellés lors de l’intervention.

Dans la foulée, le président Daniel Noboa a déclaré son pays en état de « conflit armé interne » et ordonné la « neutralisation » des groupes criminels impliqués dans le narcotrafic, selon un décret rendu public mardi. Ce décret présidentiel reconnaît « l’existence d’un conflit armé interne » et ordonne « la mobilisation et l’intervention des forces armées et de la police nationale (…) pour garantir la souveraineté et l’intégrité nationale contre le crime organisé, les organisations terroristes et les belligérants non étatiques ».

Le président Noboa ordonne également la « neutralisation » de tous ces groupes criminels, dont il fournit une liste exhaustive : Aguilas, AguilasKiller, Ak47, Caballeros Oscuros, ChoneKiller, Choneros, Covicheros, Cuartel de las Feas, Cubanos, Fatales, Ganster, Kater Piler, Lagartos, Latin Kings, Lobos, Los p.27, Los Tiburones, Mafia 18, Mafia Trébol, Patrones, R7, Tiguerones.

Mutineries et évasions

Avec ce nouvel incident retentissant, dont on ignore encore le bilan, culmine une crise sécuritaire que rien ne semble pouvoir endiguer, après trois jours marqués par l’évasion d’un dangereux chef de gang, des mutineries en cascade dans les prisons, la proclamation de l’état d’urgence et l’enlèvement de policiers notamment.

« Ce sont des jours extrêmement difficiles », l’exécutif ayant pris « la décision importante de lutter de front contre ces menaces terroristes », a commenté mardi le secrétaire à la communication de la présidence, Roberto Izurieta.

La crise a débuté dimanche avec la spectaculaire évasion d’Adolfo Macias, alias « Fito », 44 ans, le chef des « Choneros ». Un gang d’environ 8 000 hommes, selon les experts, devenu le principal acteur du trafic de drogue florissant en Équateur.

Souvent décrit comme l’ennemi public numéro 1, soupçonné d’être impliqué dans le retentissant assassinat de l’un des principaux candidats à la présidentielle en août 2022, l’homme s’est volatilisé d’un établissement de haute sécurité dans le vaste complexe de Guayaquil où il purgeait depuis 2011 une peine de 34 ans de privation de liberté pour crime organisé, trafic de stupéfiants et meurtre. Il s’était déjà évadé, en 2013, d’une prison de haute sécurité et avait été repris trois mois après.

Son évasion a été suivie de plusieurs mutineries et prises en otage de gardiens dans diverses prisons, le tout relayé par d’effrayantes vidéos diffusées sur les réseaux sociaux montrant les captifs menacés par les couteaux de détenus masqués.

« Déclaration de guerre »

Le président de l’Équateur, Daniel Noboa, a décrété lundi l’état d’urgence pendant 60 jours dans l’ensemble de l’Équateur. L’armée est ainsi autorisée à assurer le maintien de l’ordre dans les rues (avec un couvre-feu nocturne) et les prisons. Avec manifestement peu d’effets jusqu’à présent : sept policiers ont été enlevés dans la nuit de lundi à mardi. Des explosions ont également été signalées dans une attaque contre un commissariat de police, le domicile du président de la Cour nationale et des véhicules ont été incendiés. La presse locale a évoqué une « nuit de terreur » et un « État failli ».

Une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux montre trois des policiers enlevés contraints, sous la menace d’armes de poing, de lire un message adressé au chef de l’État : « Vous avez déclaré la guerre, vous allez avoir la guerre (…). Vous avez déclaré l’état d’urgence, nous déclarons la police, les civils et les militaires butins de guerre ».

Nouvelle humiliation mardi, les autorités ont annoncé l’évasion d’un autre narcotrafiquant, Fabricio Colon Pico, l’un des chefs de Los Lobos, une bande criminelle rivale des Choneros. Il avait été arrêté vendredi pour le délit d’enlèvement et sa responsabilité présumée dans un complot visant à assassiner le procureur général.

« Niveau d’infiltration »

Le gouvernement a déploré un « niveau d’infiltration » des groupes criminels au sein de l’État « très élevé » et qualifié le système pénitentiaire équatorien d’« échec ». « Nous ne négocierons pas avec les terroristes et on ne s’arrêtera pas tant que nous n’aurons pas rendu la paix à tous les Équatoriens », a insisté lundi le président Noboa.

Dès dimanche, des policiers et des soldats ont pénétré lourdement armés dans plusieurs prisons, notamment où des gardiens ont été séquestrés. Les forces de sécurité ont diffusé de spectaculaires images de ces interventions, montrant des centaines de détenus en sous-vêtements, mains sur la tête et allongés sans ménagement sur le sol. L’administration pénitentiaire (SNAI) a affirmé que personne n’avait été blessé à la suite de ces « incidents ».

Face au déchainement de violence en Équateur, le Pérou a déclaré sa frontière Nord en état d’urgence et a déployé ses forces armées pour essayer de bloquer le passage éventuel de délinquants fuyant la Police et les Forces armées équatoriennes, souligne notre correspondant à Quito, Eric Samson.

M. B.