mardi 22 octobre 2024
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Finances/A la Société générale, le choix d’un patron de rupture

Slawomir Krupa succédera à Frédéric Oudéa à la direction générale de la banque. Le poste semblait promis à Sébastien Proto

Stupéfaction à la Société générale. Le conseil d’administration de la banque a adoubé, vendredi 30 septembre, Slawomir Krupa, 48 ans, directeur général adjoint chargé de la banque de grande clientèle, pour prendre la succession de Frédéric Oudéa, le directeur général sur le départ. M. Krupa prendra ses fonctions le 24 mai 2023, à l’issue de la prochaine assemblée générale, où il sera proposé comme administrateur. Une surprise de taille tant le poste paraissait promis à Sébastien Proto, 44 ans, l’autre candidat interne et surtout inspecteur des finances, comme Jacques Mayoux, Marc Viénot, Daniel Bouton et Frédéric Oudéa, pour ne parler que des derniers dirigeants. La désignation de M. Krupa, diplômé de Sciences Po Paris, marque une rupture majeure dans cette lignée. S’y ajoute le fait que le futur patron, dont la famille vit à New York, a un passeport polonais, en plus de sa carte d’identité française. « C’est une claque pour l’inspection des finances et la promotion d’Emmanuel Macron à l’ENA, qui croyaient que tout leur était promis », lance un habitué des cercles du pouvoir. « Nous avons eu un choix difficile à faire entre deux excellents profils, ce qui démontre la richesse des talents à la Société générale, confie Lorenzo Bini Smaghi, le président de la banque, qui a mené la sélection avec Gérard Mestrallet, président du comité des nominations. Slawomir Krupa a une capacité de vision et de leadership et une grande compréhension des marchés financiers. » Lorsque M. Proto, associé gérant de Rothschild & Co et ancien des cabinets ministériels, avait rejoint la Société générale, en 2018, comme patron de la stratégie, il était apparu comme le dauphin naturel de M. Oudéa. En 2020, il avait été promu directeur général adjoint, chargé de la banque de détail et de la banque privée. Depuis, il pilotait l’un des chantiers majeurs de l’entreprise, la fusion entre les réseaux d’agences du Crédit du Nord et celles au logo rouge et noir. « Nous travaillons beaucoup avec Sébastien Proto afin d’éviter la casse sociale. Il est très à l’écoute », témoigne Frédéric Guyonnet, président du syndicat SNB CFE­CGC, pour qui le choix de M. Krupa constitue une « grosse surprise ».

« Vingt-cinq ans de maison »

A l’unanimité et à bulletins secrets, le conseil d’administration a suivi la recommandation du comité des nominations, qui a voté en faveur de Slawomir Krupa, issu quant à lui de l’inspection générale de la Société générale, un corps d’élite chargé de passer au peigne fin toutes les activités aux quatre coins du monde et considéré comme la voie royale au sein de l’établissement. Il était responsable depuis janvier 2021 de la re[1]mise en ordre des activités de banque de financement et d’investissement, un pôle qui fut longtemps le fleuron du groupe, mais qui vogue de galère en galère depuis la découverte de la fraude du trader Jérôme Kerviel en janvier 2008. Le Franco-­Polonais, entré à la Société générale en 1996, s’y est aguerri aux crises, à commencer par l’affaire Kerviel. Entré dans la banque de financement et d’investissement en 2007, M. Krupa était le secrétaire du comité « fighting back » (« contre-­attaque ») prévu pour affronter la tempête. En 2011, lors de la crise de la zone euro, il avait aussi été en première ligne pour réduire en urgence les engagements en dollars de la banque.

En 2016, il est envoyé à New York pour piloter la filiale américaine au moment où les autorités locales accusent la banque de corruption en Libye et de manipulation des taux interbancaires. « Il a été excellent dans la relation avec les régulateurs américains. Cette expérience a beaucoup joué en sa faveur », souligne un connaisseur de la Générale. « Le fait qu’il ait eu près de vingt­-cinq ans de maison contre quatre pour Sébastien Proto constituait un avantage supplémentaire, ajoute un connaisseur du groupe. Pour la première fois, un dirigeant qui a grandi dans la banque en prend la tête. C’est un signal positif pour les équipes. » A son débit, cependant, un style réputé abrasif. Lorsque M. Oudéa avait annoncé, lors de l’assemblée générale de mai, qu’il ne solliciterait pas de nouveau mandat en 2023, après quatorze ans à la direction générale, une liste initiale de 450 noms à l’externe avait été établie : à charge pour le cabinet de chasse de têtes Egon Zehnder de la réduire. Dans la dernière ligne droite, trois prétendants externes étaient en course, dont une femme et un étranger. En interne, deux candidats seulement s’étaient présentés : à la fin, il ne restait plus qu’eux. Reste à savoir si M. Proto décidera de rester à la Société générale après ce désaveu. Il était important en tout cas pour la banque aux 117 000 collaborateurs de désigner rapidement le nouveau responsable afin de sortir d’un climat de flottement accentué par l’annonce du départ de la directrice des risques et de la directrice des ressources humaines et directrice de la communication, Caroline Guillaumin – proche de M. Oudéa, en partance pour Orange.

« Ambiance de fin de règne »

M. Oudéa lui­-même est attendu à la présidence de Sanofi. « Il y a une ambiance de fin de règne », confesse un cadre de la banque, qui s’attend à ce que le passage de relais intervienne avant la fin de l’année. Car les défis ne manquent pas, en particulier dans la banque de détail : fusion des réseaux d’une complexité folle compte tenu des architectures informatiques, avec des conséquences lourdes sur l’emploi ; rapprochement entre ALD et LeasePlan pour créer un « leader de la mobilité » ; rentabilisation de Boursorama et de ses 4 millions de clients. « Le premier défi du nouveau patron sera de poursuivre la stratégie de redressement, au moment où il devra gérer la transition entre un monde où les banques allaient chercher de la croissance partout ailleurs que sur les taux et celui où l’intermédiation financière retrouve de l’intérêt », souligne Sylvain Perret, analyste chez AlphaValue. Un pilotage qui devra être millimétré : si la remontée des taux engagée dans la zone euro promet de redonner de l’oxygène aux banques, les menaces de récession pèseront sur le coût du risque.

Isabelle Chaperon in Le Monde