À 98 ans, Edmond Réveil dévoile l’exécution d’une quarantaine de soldats allemands de la Wehrmacht par la Résistance en 1944.
Il s’est tu durant soixante-dix-neuf ans. Mais à la fin d’une assemblée générale de l’Association nationale des anciens combattants, il a lâché ce qui fut l ’un des secrets les mieux gardés de la section des FTP (Francs-tireurs et partisans) de Meymac (Corrèze) : l’exécution sommaire d’une quarantaine de soldats allemands de la Wehrmacht et d’une femme de la Gestapo. C’était le 12 juin 1944. Edmond Réveil avait 18 ans. Son témoignage précis, enregistré, a été pris très au sérieux par les autorités qui vont aller en repérage au lieu-dit le Vert, où les soldats seraient enterrés. « Nous n’étions pas du tout au courant », assure le maire de Meymac, Philippe Brugère. Des révélations extrêmement sensibles en Limousin, territoire de résistance meurtri par deux drames : la pendaison par les Allemands de 99 habitants à Tulle, le 9 juin 1944, et le massacre par la division SS Das Reich, du village d’Oradour-sur-Glane (Haute-Vienne) le 10 juin 1944, où 643 femmes, hommes et enfants furent mitraillés et brûlés.« Je pense que cette histoire était pour lui un fardeau. Il est le dernier témoin de cette exécution. Il s’est dit que s’il n’en parlait pas, personne jamais ne le saurait. Et il a toujours dit que, dans les guerres, il n’y a pas les bons d’un côté, les méchants de l’autre » , témoigne Joël Bezanger, son ami. L’histoire commence le 8 juin 1944, la veille des pendaisons de Tulle. Agent de liaison des FTP, Edmond Réveil, alias Papillon, participe à l’attaque de l’école normale de filles, à Tulle, où sont stationnés des Allemands. « On a mis le feu avec des balles traçantes. » La Résistance arrête 55 soldats allemands. « Au total, une soixantaine d’Allemands sont morts ce 8 juin. Et les pendaisons le lendemain ont été organisées en représailles », précise Patrick Charron, historien amateur. Encadrés par une trentaine de résistants, les militaires de la Wehrmacht faits prisonniers par les FTP vont marcher une soixantaine de kilomètres à travers bois, passant de ferme en ferme pour le ravitaillement. « Aucun groupe de résistants ne voulait d’eux. On ne savait pas quoi en faire », témoigne Edmond Réveil.
« Ça sentait le sang »
Quarante-huit militaires allemands sont acheminés jusqu’à Meymac (Haute-Corrèze) et « mis au vert » dans une étable. « Pour aller faire pisser un prisonnier, il fallait qu’il soit encadré par deux d’entre nous. On n’avait pas prévu l’intendance. ll fallait les nourrir, les surveiller. C’est le groupement interallié basé à Saint-Fréjoux (Corrèze) qui a donné l’ordre de les tuer », raconte le vieil homme. Hannibal, chef de la section, est chargé de faire exécuter la sentence. Professeur d’allemand à Meymac, cet Alsacien, qui devint avocat à Sarlat (Dordogne), va prendre les prisonniers un par un pour leur parler. « Quand il a reçu l’ordre, il a pleuré comme un gamin. Mais il y avait une discipline dans la Résistance. Il a demandé aux gars qui était volontaire. Chaque maquisard avait son bonhomme à tuer. Il y en a qui n’ont pas voulu, dont moi. La femme française, personne ne voulait la tuer. Ils ont tiré au sort… Ce jour-là, il faisait une chaleur terrible. On leur a fait creuser leurs propres tombes, on a versé de la chaux. Ça sentait le sang. On n’en a plus jamais reparlé. C’est pas marrant, vous savez, de fusiller quelqu’un. » Quelques lignes du livre d’un historien, Bruno Kartheuser, évoquent le sort de ces soldats allemands mais l’épisode est resté enfoui. En 1967, onze corps sont bien exhumés près du lieu indiqué aujourd’hui par Edmond. Mais la presse de l’époque n’en fait pas mention. « Sur les registres municipaux, il n’y a aucune trace des exhumations, raconte le maire de Meymac. Le sujet, localement, est brûlant mais il y a aujourd’hui plus de distance que dans les années 1960. » Patrick Charron, membre du Souvenir français, a réclamé des fouilles pour que la trentaine de corps trouvent une « digne sépulture ». L’Office national des anciens combattants a annoncé que les corps allaient être localisés par géoradar en juin puis exhumés, « normalement au cours de l’été ». Edmond Réveil, lui, ne souhaite pas raviver les rancœurs, même s’il a conscience de donner un sérieux coup de canif au récit mémoriel. Il veut seulement que les descendants de ces Allemands soient au courant. « On peut le dire, c’était une faute de tuer comme ça des prisonniers de guerre. »
F. L.