. Après quelque vingt mois de forte croissance, la conjoncture du fret s’est retournée depuis le printemps dernier.
. Tous les modes de transport font face à un changement de climat économique, une baisse de la consommation de biens durables et des stocks importants.
Porte-conteneurs géants, camions, trains et avions-cargos : pour tous les modes de transport, le constat est le même. Depuis quelques mois, la grande euphorie mondiale du transport de marchandises est en train de s’essouffler. Ce mouvement, qui prévalait depuis la fin de la période des premiers confinements, a passé récemment son point haut, même si les volumes traités demeurent à des niveaux élevés. Le tassement le plus emblématique est celui du secteur maritime, qui assure le transport de 80 % des marchandises mondiales. L’activité portuaire et des navires reflète fidèlement la contraction générale de l’économie. La poussée de l’inflation et la remontée des taux d’intérêt, modifient les choix des consommateurs, qui deviennent plus sélectifs dans leurs achats. Et le conflit russo-ukrainien n’arrange rien. Conséquence, la Banque mondiale a révisé à la baisse en juin sa prévision de croissance mondiale pour 2022 à +2,9 %, très loin des +4,1 % annoncés en début d’année.
Mi-juillet, le patron de CMA CGM, Rodolphe Saadé, témoignait devant les sénateurs d’un ralentissement de la croissance de ses métiers (maritime, logistique) en raison « de stocks conséquents partout dans le monde et d’une consommation faible ». Préférant parler « d’un atterrissage en douceur » plutôt que de récession, il ajoutait que certains taux de fret avaient « perdu près de 40 % en quelques semaines »… au grand soulagement des clients chargeurs. Son concurrent danois Maersk, numéro deux mondial derrière MSC, a récemment fait état d’un recul de 2,5 % de l’ensemble de ses volumes en mai, et pointe depuis peu les nombreuses incertitudes qui planent sur le reste de l’année. Ce qui ne l’empêche pas de prévoir un bond de 23 % de son bénéfice annuel à 37 milliards de dollars, davantage en raison des taux de fret record que des volumes de marchandises.
Pas de tsunami de marchandises chinoises « Les volumes sur de nombreux corridors sont en baisse. En Europe, sur les cinq premiers mois de 2022, les importations de conteneurs ont reculé de 3 %, et les exportations de 6 % », détaille le cabinet norvégien Xeneta. A l’évidence, le tsunami de produits à transporter au départ de Chine, après les deux mois de très sévère confinement sanitaire (avril-mai) dans la région de Shanghai et d’autres métropoles, n’a pas déferlé comme prévu, malgré la relance des usines chinoises cet été. Au moment où les acheteurs occidentaux remplissent déjà leurs entrepôts pour les fêtes de fin d’année, le ressac est visible. « Comme ces distributeurs disposent de très vastes stocks qui leur coûtent chaque mois de plus en plus cher, ils puisent aujourd’hui prioritairement dans ces stocks avant de procéder à de nouvelles commandes. Cet attentisme est désormais palpable sur le marché, de façon plus marquée sur l’Asie-Europe que sur l’axe Asie-Etats-Unis. Ce qui ne signifie pas que les volumes s’effondrent en provenance d’Asie », notait en juillet Jérôme de Ricqlès, l’expert maritime de la place de marché logistique Upply, affiliée à Geodis. Ce mouvement de repli se répète dans tous les modes. Dans le fret aérien, la demande totale mondiale en tonnes/km a reculé de 8,3 % en mai comparé à 2021, puis à nouveau de 6,4 % en juin, alors que les compagnies déployaient davantage de capacités pour répondre au boom des trimestres précédents, selon l’Association du transport aérien international (IATA). « Les nouvelles commandes d’exportation ont diminué dans tous les marchés à l’exception de la Chine », constate son directeur général Willie Walsh.
Sur le premier semestre, qu’il s’agisse des avions « tout cargo » ou des soutes des appareils de passagers, les compagnies européennes accusent la plus forte baisse d’activité, avec une demande en chute de 7,8 %, pour une capacité majorée de +3,7 % sur un an, ajoute l’association genevoise.
Le ferroviaire pénalisé par la guerre en Ukraine
Dans le droit-fil des avions, les « routes de la soie », le trafic ferroviaire entre la Chine et l’Europe, subissent aussi un sérieux coup de frein. Le nombre de conteneurs acheminés sur ces axes au long cours a augmenté de seulement 2,6 % au premier semestre, selon les chemins de fer chinois d’Etat, bien loin du bon de +29 % en 2021, voire des +56 % l’année précédente, lorsque le monde entier était à la recherche de masques sanitaires et autres produits médicaux. Ici, le conflit en Ukraine a joué un rôle, de nombreux opérateurs refusant désormais de traverser le territoire russe, boycotté par beaucoup de sociétés européennes, préférant des routes sud (Turkménistan, Turquie) moins performantes. Plus près de nous, le climat des affaires est aussi en recul. Dans le transport routier, « la tendance est en baisse continue depuis le début 2022 », note la Fédération nationale des transports routiers (FNTR) qui interroge ses adhérents chaque trimestre. « Les chefs d’entreprise constatent une détérioration de leur activité récente au deuxième trimestre, il en est de même de leurs perspectives pour le troisième trimestre 2022 », même si les indicateurs restent « supérieurs à leur moyenne de long terme », pointe la fédération professionnelle dans son baromètre. Renvoyant aux enquêtes de conjoncture de l’Insee, « le climat des affaires se dégrade dans la quasi-totalité des sous-secteurs de l’industrie manufacturière », par exemple l’automobile ou le commerce de gros. Le coup de frein de l’e-commerce chez les particuliers n’est donc que la partie visible de l’iceberg.
Mollesse de la demande et raisons opérationnelles
Moins fort en volume mais en progression constante, le transport combiné reflète la tendance. Ce transport intermodal consistant à placer sur un train, pour son parcours le plus long, un conteneur apporté par un camion, a reculé de 0,46 % en Europe au deuxième trimestre 2022, selon l’association professionnelle UIRR. Quoique modérée, cette baisse marque un coup d’arrêt après un an et demi de nette progression (+11 % en 2021), relève le site spécialisé RailFreight. Outre la mollesse de la demande, le recul tient aussi à des raisons opérationnelles (retards des trains, manques de capacité). Jusqu’à présent, le transport combiné et ses « autoroutes ferroviaires » progressaient plus vite que le fret classique par rail.
Denis Fainsilber in Les Echos