Le Hezbollah a officiellement annoncé, samedi 28 septembre, la mort de son chef Hassan Nasrallah, tué dans un raid israélien sur la banlieue sud de Beyrouth le 27 septembre. Retour sur la vie et l’ascension d’un homme pas ordinaire.
L’annonce de sa mort samedi 28 septembre a déchaîné les passions les plus contradictoires. Désespoir et détresse chez les chiites au Liban, en Irak et en Iran et chez une grande partie des Palestiniens. Tristesse dans les milieux anti-israéliens en général, qui considéraient Hassan Nasrallah comme un héros de la cause palestinienne. Jubilations chez d’autres. En Israël bien sûr, mais aussi dans le bastion des rebelles syriens à Idleb ou dans certains pays du Golfe.
Quel que soit le regard que l’on porte sur Hassan Nasrallah, il marquera l’histoire comme l’un des plus coriaces ennemis d’Israël. Un homme, issu d’un milieu chiite pauvre, devenu une figure centrale de la politique libanaise et un acteur incontournable sur l’échiquier régional.
Il restera aussi l’homme qui n’a jamais perdu une guerre face à Israël. Il a tenu l’État hébreu en échec en 1993, en 1996, l’a poussé à se retirer unilatéralement du Liban, en 2000, et lui a infligé un revers humiliant en 2006. Cette guerre lui a d’ailleurs donné une stature de leader populaire faisant ombrage à tous les présidents et rois arabes. Car jamais, depuis l’ancien président égyptien Gamal Abdel Nasser, un chef arabe n’aura été autant adulé par les foules, du Maroc à l’Irak, en passant par le Levant et le Golfe.
C’est peut-être l’image des portraits de ce chiite, une communauté minoritaire dans le monde arabe, brandis par des foules immenses de sunnites, qui a effrayé les États du Golfe, le reste du monde arabe et, surtout, Israël et ses alliés occidentaux.
L’image se ternit après 2006
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’image de Hassan Nasrallah et celle de son parti commencera à se ternir après 2006, sous l’effet d’une vaste campagne de diabolisation et à cause de choix politiques qu’il a pris et qui seront exploités à merveille par ses détracteurs pour raviver les dissensions entre sunnites et chiites et le présenter comme un simple « exécutant des intérêts perses au détriment des ceux des Arabes ».
Le Hezbollah sera ainsi accusé d’être derrière le meurtre, en février 2005, de l’ancien Premier ministre sunnite libanais, Rafic Hariri, et de la série d’assassinats politiques survenue au Liban entre 2005 et 2007. Il s’en défendra jusqu’au dernier jour. L’ex-diplomate américain, David Satterfield, admettra lors d’une audience au Congrès américain qu’après la guerre de 2006, des centaines de millions de dollars ont été dépensés pour salir la réputation de Hassan Nasrallah et de son parti, qui sera, entre autres, accusé de tremper dans un vaste trafic de drogue en Amérique latine. Des accusations qu’il dément catégoriquement.
Au Liban, le parti de Hassan Nasrallah est accusé d’être « un État dans l’État » et d’utiliser sa puissante aile armée pour terroriser ses adversaires et imposer de nouvelles réalités politiques. Intouchable et respecté par une majorité de Libanais quelques années plus tôt, le Hezbollah se retrouve de plus en plus isolé sur la scène politique interne, malgré l’alliance conclue avec le principal parti politique chrétien à l’époque, le Courant patriotique libre (CPL, fondé par Michel Aoun).
La décision controversée de Hassan Nasrallah de s’engager directement dans la guerre syrienne aux côtés du président Bachar el-Assad, dès 2012, offrira à ses ennemis une opportunité en or de le présenter comme un ennemi viscéral des sunnites. Pour sa part, il voyait dans la révolte syrienne « un vaste complot occidental visant à faire basculer la Syrie dans le camp occidental et, par ricochet, pro-israélien ».
La décision unilatérale d’ouvrir le front libanais « en soutien à Gaza », le 8 octobre 2023, sera très critiquée par une frange de la classe politique et de la population libanaise, y compris le CPL, qui lui reprochent de prendre le risque d’entraîner le Liban dans une guerre dévastatrice. Le fait de soutenir le Hamas, une organisation sunnite, aura par ailleurs une conséquence positive, celle de redorer son image auprès de cette communauté au Liban et dans le monde arabo-musulman.
Admiré par une partie des Arabes, haï par les Israéliens, Hassan Nasrallah s’était forgé au fil des ans une réputation d’homme simple, calme, sûr de lui, qui ne vit que pour un seul objectif : lutter contre Israël. La mort de son fils aîné, Hadi, lors d’un affrontement avec l’armée israélienne en 1997, a complété cette image du chef partageant les souffrances de ses hommes et qui a dédié son existence à sa cause.
Son enfance explique en grande partie l’extrême sensibilité de Hassan Nasrallah à la question palestinienne, son attachement aux « causes des déshérités », comme il le rappelle à chacun de ses discours, et sa grande connaissance des complexités du système politico-communautaire libanais.
Étudiant dans les villes saintes d’Irak et d’Iran
Hassan Nasrallah est né le 31 août 1960 dans le quartier de la Quarantaine, non loin du port de Beyrouth. À l’époque, des masures de bois et de tôle abritaient là un extraordinaire melting-pot de la misère. Les chiites pauvres venus du Liban-Sud se mêlaient aux réfugiés palestiniens, à des Kurdes et à des Arméniens, qui se partageaient ce bidonville aux portes de la capitale. Dès son plus jeune âge, Hassan Nasrallah s’est imprégné des petites histoires de « ces peuples sans terre » que sont les Palestiniens, les Kurdes et les Arméniens. Il écoute les plus vieux raconter les souffrances de l’exode, l’atrocité des massacres, les rêves brisés.
Hassan Nasrallah est l’aîné d’une famille de neuf enfants dont le père, Abdel Karim, n’est pas particulièrement porté sur les questions religieuses. C’est en solitaire que le jeune Hassan s’initie à la religion et au chiisme. Les années qu’il passe à l’école publique de Sin el-Fil, un quartier mixte à l’est de Beyrouth, lui permettent de découvrir aussi le visage chrétien du Liban. Au début de la guerre civile, en 1976, le bidonville de la Quarantaine est détruit.
Abdel Karim Nasrallah emmène alors sa famille dans son village d’origine, Bazourié, près de Tyr au Liban-Sud. Mais Hassan a d’autres projets. Il veut aller à Najaf, la ville sainte du chiisme arabe en Irak, pour y poursuivre des études de théologie. Il a 16 ans à peine quand il rencontre, là-bas, le grand imam Mohammed Baker al-Hakim, fondateur du parti al-Daawa, qui lui donne comme tuteur un étudiant libanais, Abbas Moussaoui. Les deux jeunes gens ne se quitteront plus.
Du Amal au Hezbollah
Lorsqu’à partir de 1978 Saddam Hussein intensifie sa répression contre les milieux religieux chiites et emprisonne des centaines d’étudiants en théologie, Hassan Nasrallah réussit à passer à travers les filets. De retour au Liban, il réintègre les rangs du Mouvement « Amal » qu’il avait déjà fréquenté à Bazourié. Fondée par l’imam libanais Moussa Sadr, cette organisation chiite est aujourd’hui dirigée par le président du Parlement, Nabih Berri. Pendant quatre ans, Hassan Nasrallah gravit les échelons au sein du mouvement. Mais il fait partie d’un courant de plus en plus sensible aux idées défendues par l’ayatollah Khomeiny qui vient de renverser le shah d’Iran.
Au lendemain de l’invasion israélienne de 1982, Hassan Nasrallah juge trop « modérée » l’attitude de Nabih Berri. Il rejoint alors un groupe de militants du mouvement Amal et du parti al-Daawa qui décident de fonder le Hezbollah. D’inspiration islamiste, imprégné des idées khomeinistes, ce nouveau parti se fixe comme objectif de « libérer le Liban de l’occupation israélienne à travers la lutte armée ». À 22 ans, Hassan Nasrallah fait donc partie du noyau fondateur du Hezbollah, mais il n’est pas encore membre du directoire suprême. Chargé de la « mobilisation » au sein du nouveau parti, il devient ensuite responsable pour les régions de Baalbek et, plus tard, de l’ensemble de la Békaa, considéré aujourd’hui comme l’un des viviers du Hezbollah.
Hassan Nasrallah, qui ne rêvait que de poursuivre ses études de théologie interrompues en Irak, voit la chance lui sourire en 1989. Il se rend donc à Qom, la ville sainte chiite d’Iran. Mais lorsque des combats fratricides éclatent entre le Hezbollah et Amal, il est rappelé d’urgence au Liban. Il jouera un rôle important dans le règlement de cette guerre inter-chiites qui fera des milliers de morts. Il s’agissait en fait d’une lutte syro-iranienne pour le contrôle de cette communauté. Elle se terminera par une solution médiane qui permettra au Hezbollah d’entamer son long chemin vers sa libanisation.
Chef militaire et politique au Liban
Lorsque le secrétaire général du parti qui n’était autre que son ami Abbas Moussaoui est assassiné par Israël, en février 1992, le choix du Conseil de la Choura, le commandement suprême, se porte sur Hassan Nasrallah pour lui succéder. Il n’a encore que 32 ans. Ce choix s’explique par ses compétences militaires, son pragmatisme et son esprit d’ouverture. En effet, la guerre civile libanaise vient de se terminer. Et à l’intérieur du Hezbollah, le débat sur l’attitude à adopter a déjà commencé. Faut-il intégrer la vie politique nationale ou, au contraire, rester à l’écart du jeu interne libanais ? C’est la première option, défendue par Hassan Nasrallah, qui l’emporte. Quelques mois plus tard, le parti participe aux premières élections législatives de l’après-guerre, se posant en force politique incontournable.
Sur le plan militaire, Hassan Nasrallah s’était employé, pendant des années, à transformer le Hezbollah, organisant sa milice en véritable force de guérilla. Au milieu des années 1980, les combattants du Hezbollah menaient des attaques frontales, dites à « l’iranienne », contre les positions israéliennes au sud du Liban, laissant sur le terrain des dizaines de morts. Petit à petit, la stratégie militaire a changé sous l’impulsion de Nasrallah. Elle est devenue plus efficace et mieux ciblée. Les résultats sont spectaculaires. Soumise à un insupportable harcèlement, l’armée israélienne a dû se retirer unilatéralement du Sud, sans accord politique, en 2000. Une première depuis le début du conflit israélo-arabe.
Peu intéressé par le jeu politique interne, il consacrera le plus gros de ses efforts à développer les capacités de son parti, jusqu’à en faire un des plus puissants groupes militaires non étatiques au monde, alliant les techniques de guérilla à celle des armées classiques.
Le « sayyed », un titre attribué aux descendants du prophète Mahomet, ce chef charismatique qui a su faire la synthèse entre chiisme arabe et iranien et entre islamisme et nationalisme arabe, est mort vendredi 27 septembre. Il ne saura jamais si le parti qu’il a cofondé et à qui il a donné une dimension dépassant celle des frontières du Liban parviendra, encore une fois, à tenir tête à l’armée israélienne.
P. K.