Le jour où l’Espagne, l’Irlande et la Norvège reconnaissent formellement l’État de Palestine, les débats à l’Assemblée nationale française s’enflamment. Les esprits se sont fortement échauffés ce mardi 28 mai après qu’un député LFI a violé le règlement en brandissant à bouts de bras un drapeau noir, rouge, blanc et vert, celui de la Palestine. La séance a été immédiatement interrompue, et le parlementaire lourdement sanctionné.
Un rassemblement était en cours ce mardi soir à Paris, place de la République, à l’appel de plusieurs députés de La France insoumise, qui voudraient que la France reconnaisse l’État de Palestine. Mais ce sont les images franchement peu glorieuses de l’Assemblée qui tournent en boucle sur les chaînes de télévision.
C’était vers 15h30 heure de Paris, lors de la séance des questions au gouvernement. Pendant que le ministre Franck Riester répondait à une question du groupe insoumis sur les ventes d’armes à Israël, le député LFI Sébastien Delogu s’est levé et a brandi le drapeau palestinien.
Ce geste visait selon lui à dénoncer l’offensive israélienne menée à Gaza, dont la France serait – toujours selon lui – « complice ». Il a immédiatement provoqué un tumulte important, le mot est faible. De très vives indignations dans l’hémicycle ont éclaté de la part des élus d’extrême droite, de droite et de la majorité présidentielle ; colère également de la présidente Yaëlle Braun-Pivet.
La séance a aussitôt été suspendue par cette dernière pour permettre au bureau de l’Assemblée de se réunir en urgence, ce qui est très rare. Brandir un drapeau dans l’hémicycle est formellement interdit par le règlement intérieur. Le député Delogu le sait, et il assume.
Il y a eu des injures virulentes entre députés en venant presque aux mains, pendant la suspension de séance. Ces échanges d’amabilités extraordinairement tendus entre l’insoumis David Guiraud et son collègue de droite Meyer Habib relatent bien la tension extrême ce jour au palais Bourbon.
Exclu deux semaines avec la moitié de ses indemnités pendant deux mois
Le parlementaire insoumis écope à l’arrivée de la plus lourde sanction possible, c’est-à-dire la censure avec exclusion temporaire pendant deux semaines, avec une indemnité réduite de moitié pendant deux mois. Les députés de gauche ont dénoncé une sanction disproportionnée, à l’instar de la socialiste Valérie Rabault.
Il y a d’autres manières, et le règlement est clair là-dessus : on n’arrive pas avec un objet à l’Assemblée nationale. Est-ce que ça vaut une sanction maximale ? Non. Et est-ce que ça vaut le fait que, aujoiurd’hui, on ne discute pas du vrai sujet, qui est ce qui se passe à Rafah, et qui est l’essentiel ? Franchement, c’est nul.
À l’extrême droite, le député Rassemblement national Sébastien Chenu, qui a voté la sanction, dénonce le calcul électoral de La France insoumise, à quinze jours des européennes.
On a bien compris que M. Delogu faisait ça comme je dis pour des raisons bassement électorales. Il fait un clin d’œil électoral à une certaine partie de la population. Il utilise l’Assemblée nationale, il enfreint le règlement intérieur de l’Assemblée nationale, pour essayer de récupérer des voix…
Même son de cloche du côté de la majorité et du groupe de droite classique Les Républicains. Tous accusent LFI d’instrumentaliser le conflit pour gagner des électeurs avant les élections de la semaine prochaine.
Le calme a fini par revenir, une heure après l’incident. Mais Sébastien Delogu est déjà le troisième député en deux ans à être frappé par cette fameuse censure avec exclusion temporaire, comme son homologue Thomas Portes et le député RN Grégoire de Fournas.
Nouvelle chronique d’une Assemblée ou les extrêmes donnent de la voix ; une Assemblée rappelons-le sans majorité absolue, et offrant beaucoup de place aux coups d’éclat, quitte à donner une mauvaise image, voire une très mauvaise image d’elle-même.
Reconnaissance de l’État de Palestine : Emmanuel Macron rappelle sa ligne
Le président français a répété, ce mardi lors d’une conférence de presse commune avec le chancelier allemand Olaf Scholz à Meseberg, près de Berlin, qu’il n’y a « pas de tabou pour la France et je suis totalement prêt à reconnaître un État palestinien ». Mais Emmanuel Macron « considère que cette reconnaissance doit arriver à un moment utile ». « Je ne ferai pas une reconnaissance d’émotion », précise le chef de l’État.
Plus de réactions : à gauche, on oscille entre indignation face à la sanction et trouble sur la stratégie des insoumis de Mélenchon
« Yaël Braun-Pivet a encore une fois cédé à l’extrême droite », tempête un député écologiste. Pour cet élu, il est normal de faire des coups politiques dans l’hémicycle : « On a eu des gilets jaunes, des chants », rappelle-t-il, « un drapeau palestinien, ce n’était pas bien grave au vu de la situation à Gaza ».
Plus que le happening insoumis, c’est plutôt l’attitude du gouvernement, refusant de répondre sur la question des sanctions contre Israël, qui l’a agacé.
Mais côté socialiste, le son de cloche est en fait un peu différent : « Le coordinateur des insoumis Manuel Bompard m’est tombé dessus parce que je n’aurais pas assez soutenu Sébastien Delogu », se plaint un député PS. « Mais brandir un drapeau, ça reste interdit ici et encore une fois, on donne une mauvaise image de l’Assemblée. »
Le ton est nettement plus ferme du côté de l’équipe de Raphaël Glucksmann. Un candidat haut placé dans la liste socialiste pour les européennes estime que les insoumis ont encore une fois « cherché le buzz sur le Proche-Orient pour se maintenir sous les projecteurs ».
Au risque, déplore son collègue député, « de parler davantage du drapeau de Delogu que des massacres à Rafah. »
R. D.