vendredi 19 avril 2024
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L’armée française veut redéfinir sa posture stratégique en Afrique Les ministres des armées et des affaires étrangères effectuent leur premier voyage sur le continent, en se rendant au Niger les 14 et 15 juillet

C’est un vaste chantier lancé il y a de longs mois, bien avant la guerre en Ukraine : la redéfinition de la posture stratégique de la France en Afrique. Un sujet sur lequel diplomates et militaires se retrouvent aujourd’hui contraints d’accélérer alors que les derniers soldats déployés dans le cadre de l’opération « Barkhane », lancée en 2014, sont censés quitter le Mali d’ici septembre. Cette nouvelle « offre » France sur le continent, le ministre des Armées Sébastien Lecornu et la ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna s’apprêtent à l’esquisser lors d’un premier déplacement conjoint ce 14 et 15 juillet, au Niger, avant un déplacement en Afrique du chef de l’Etat annoncé, lui, pour la fin du mois. M. Lecornu et Mme Colonna doivent notamment visiter la base de Niamey où la France va laisser environ mille hommes à l’issue de l’été. Ils devraient aussi se rendre dans un village où est porté depuis trois ans un projet de lutte contre la malnutrition infantile par les Nations unies. Un prêt d’aide d’un montant de 50 millions d’euros de l’agence française de développement (AFD) doit aussi être signé.

« Signal clair et positif »

Durant ce voyage, le « nexus civilo­militaire », selon les mots d’une source diplomatique, se veut particulièrement mis en avant. Un affichage déjà tenté par le passé, mais que d’aucuns considèrent comme indispensable de réactiver en raison des bouleversements géostratégiques en Afrique et de l’urgence pour la France de se positionner dans la compétition entre puissances, notamment vis­-à­-vis de la Russie. « A beaucoup d’égards, le développement peut et doit contribuer plus fortement à la solution, en axant l’action sur les jeunes, la création d’emplois et le développement durable », assume ainsi Rémy Rioux, le directeur de l’AFD qui voit par ailleurs dans la nomination de Chrysoula Zacharopoulou, la secrétaire d’Etat chargée du développement, de la francophonie et des partenariats internationaux, « un signal clair et positif en ce sens ». Le voyage de M. Lecornu et de Mme Colonna n’est pas censé graver dans le marbre toute la feuille de route française. Le chef d’état-major des armées, le général Thierry Burkhard, et le Quai d’Orsay, doivent officiellement présenter une « nouvelle stratégie » début septembre, selon des éléments communiqués à la presse, mardi 12 juillet. « Nous allons prendre le temps de réfléchir à cette future offre avec nos partenaires au Sahel », a abondé une source militaire lors de ce même échange, conformément à la ligne très prudente défendue à tous les échelons du ministère des armées depuis des mois. Une offre qui s’annonce surtout bilatérale à court terme, alors que les mécanismes européens à destination de l’Afrique comme les missions de formation ou la facilité européenne de paix – permettant de débloquer des fonds pour de l’achat d’armes – apparaissent encore peu matures. L’ancien envoyé spécial pour le Sahel, le diplomate Frédéric Bontemps, qui avait la tutelle d’une task force sur le sujet jusqu’en juin, a en tout cas laissé un rapport classifié avec des préconisations. Mais plusieurs lignes se sont affrontées ces derniers mois. D’un côté les partisans, à l’Elysée notamment, d’une rupture franche avec le passé, allant jusqu’à la fermeture de certaines bases, notamment en Afrique de l’Ouest. « Une ligne en phase avec l’Afrique rêvée d’Emmanuel Macron durant son premier quinquennat, pas uniquement axée sur l’Afrique francophone », résume Elie Tenenbaum, de l’Institut français pour les relations internationales (IFRI). De l’autre, une ligne portée globalement par le ministère des armées, « défendant l’idée de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain », selon lui. Le changement de chef d’état-major des armées, à l’été 2021, et le passage de relais entre le général François Lecointre et le général Burkhard a aussi contribué à ce que le dossier soit repensé. Le second étant moins accroché à la culture expéditionnaire des armées que son prédécesseur. C’est lui qui a notamment poussé pour un affichage plus offensif sur les questions de « lutte informationnelle ». C’est­-à­-dire la bataille de communication stratégique sur les réseaux sociaux ou le modelage de l’opinion par médias interposés. Une doctrine officielle de « lutte informatique d’influence » (L2I) a été rendue publique en octobre 2021 et constitue à ce jour le volet le plus visible et assumé du repositionnement de la France sur le continent.

Formation militaire

Les tentatives de rupture avec les habitudes diplomatiques et militaires héritées de la période coloniale n’en demeurent pas moins depuis les années 1990 un exercice souvent amorcé, jamais abouti. Comme le résument M. Tenenbaum et le colonel Laurent Bansept dans une note pour l’IFRI, publiée en mai, « en l’absence d’une véritable vision résolue et acceptée par tous les acteurs, les trente dernières années attestent d’une mécanique stratégique de plus en plus grippée, aux prises avec des lignes politiques contradictoires, une dispersion des moyens et des motivations de moins en moins lisibles ». Du côté des armées, circule notamment l’idée de développer une forme de « diplomatie de proximité », plus jeune, plus proche des réseaux sociaux, moins réservée à des ambassadeurs en deuxième partie de carrière. Un souci d’effacement qui rejoint l’objectif des forces françaises de ne plus apparaître en première ligne alors que l’éradication du terrorisme est désormais considérée comme un défi disproportionné. A contrario, la principale offre de la France sur le continent depuis des années relève justement de la formation militaire. Formation aujourd’hui assurée par un millefeuille d’acteurs notamment rattachés au ministère des armées. A ce titre, la réforme de la coopération apparaît comme un des grands enjeux de la nouvelle « offre » française sur le continent. Dans leur note pour l’IFRI, rare document d’analyse public sur le sujet, M. Tenenbaum et le colonel Bansept esquissent aussi des pistes sur des réformes pour « simplifier » la chaîne de commandement militaire en Afrique. Actuellement, en plus de ses implantations au Niger et au Tchad, principalement dédiées ces dernières années à l’opération « Barkhane », la France dispose de bases importantes à Abidjan (Côte d’Ivoire), Dakar (Sénégal), Libreville (Gabon), et à Djibouti. Elle dispose aussi de forces spéciales prépositionnées à Ouagadougou, au Burkina Faso, ainsi que d’une mission maritime quasi permanente dans le golfe de Guinée, baptisée « Corymbe », commandée depuis Brest. Par ailleurs, 110 coopérants militaires et du ministère de l’intérieur sont, eux, rattachés au Quai d’Orsay. Dernier enjeu pour la France : parvenir à proposer une offre militaire globale qui réponde aux attentes des éventuels futurs pays partenaires. En matière de renseignement par exemple, les Etats-Unis dominent. En matière de cessions ou de vente d’armement, des pays comme la Chine ou la Turquie sont très bien placés sur le segment des drones. Même si la France dispose d’autres équipements en magasin, ils sont souvent vieux ou chers. Des questions qui rejoignent des problématiques de stratégie industrielle. Enfin, en matière d’appui aux opérations au sol, la France soumet souvent son soutien à un certain nombre de conditions, notamment en matière de droits de l’homme. Inversement, la Russie a fait de l’absence de « conditionnalité » son principal argument de vente avec la société de mercenaires Wagner.

Elise Vincent in Le Monde