Des travaux issus de la cohorte NutriNet suggèrent que les plus gros consommateurs de ces produits ont un risque augmenté d’environ 10 %
Garder le goût du sucre, sans les calories, le surpoids et aussi les risques sanitaires associés ? Près d’un demi-siècle après leur arrivée sur le marché, alors qu’ils sont désormais intégrés à des centaines de produits alimentaires et qu’ils font partie des habitudes de millions de personnes dans le monde, les édulcorants intenses (aspartame, sucralose, acésulfameK…) ne semblent pas avoir tenu leurs promesses. S’ajoutant à de nombreuses données défavorables sur le cancer et les troubles métaboliques, les derniers résultats issus de la cohorte épidémiologique NutriNet, publiés jeudi 8 septembre dans le British Medical Journal, suggèrent que leur consommation est associée à un risque accru de maladies cardiovasculaires. Ces travaux, les plus précis disponibles à ce jour, montrent que parmi les quelque 100 000 membres de la cohorte, les plus gros consommateurs de ces édulcorants ont, toutes choses égales par ailleurs, un risque augmenté d’environ 10 % de subir une pathologie cardiovasculaire, par rapport à ceux qui s’en passent, au cours de près de neuf années de suivi. Les associations les plus marquées sont celles qui lient l’acésulfameK et le sucralose aux maladies coronariennes (risques accrus de 40 % et 31 % respectivement), et celles entre l’aspartame et les maladies cérébro-vasculaires – attaques cérébrales ou accident ischémique transitoire – avec un risque accru de 18 %. A l’échelle de l’individu, ces élévations de risque demeurent modestes, mais vu l’intensité avec laquelle ces produits sont consommés et la fréquence des maladies considérées, les effets en matière de santé publique pourraient être importants. Pour mener leurs calculs, les chercheurs ont mis à profit la précision des informations obtenues auprès des membres de la cohorte pour corriger leurs résultats de nombreux facteurs de confusion comme l’âge, le sexe, l’activité physique, le tabagisme, les antécédents familiaux de maladies cardiovasculaires, ainsi que les apports alimentaires en énergie, en sel, la consommation d’alcool, d’acides gras saturés et polyinsaturés, de sucre, de fruits et légumes, de viande rouge et transformée. C’est-à-dire la plupart des facteurs de risques connus pour les maladies cardiovasculaires.
Les boissons, moitié des apports
« Nos résultats sont cohérents avec ceux de précédentes études épidémiologiques, résume Mathilde Touvier, directrice de l’Equipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle (EREN), coordinatrice de ces travaux. Mais nous sommes les premiers à être parvenus à quantifier l’apport quotidien en édulcorants, et à associer ces quantités avec une élévation de risque. » Jusqu’à présent, la plupart des études observationnelles se contentaient d’évaluer le nombre de boissons aux édulcorants consommées. « Nous constatons que, en intégrant toutes les sources alimentaires, les boissons ne représentent en moyenne qu’environ la moitié de l’apport en édulcorants », précise la chercheuse. Les 19 000 membres de la cohorte NutriNet inclus dans le groupe des plus gros consommateurs – ceux dont le risque de maladies cardiovasculaires s’est avéré augmenté de 10 % par rapport aux 65 000 individus se passant d’édulcorants – ne consomment ainsi, en moyenne, qu’un total de 77 milligrammes (mg) de « faux sucres » par jour. Soit l’équivalent d’à peine plus de 200 millilitres (ml) de CocaCola Zéro qui, selon la base de données Open-FoodFacts, contient 46 mg d’acésulfameK, 85 mg d’aspartame, pour 355 ml de boisson. Les chercheurs mettent en garde contre la généralisation de leurs résultats à l’ensemble de la population française. « Comme on l’observe généralement dans les cohortes de volontaires, les participants à l’étude NutriNet-Santé sont plus souvent des femmes, avec des niveaux d’éducation élevés, appartenant à des catégories socioprofessionnelles favorisées, écrivent Charlotte Debras, de l’EREN, première autrice de ces travaux, et ses collègues. Ils sont aussi plus susceptibles d’avoir des comportements alimentaires et un mode de vie sains. Par conséquent, la consommation d’édulcorants artificiels chez les participants à l’étude NutriNet-Santé pourrait être plus faible que celle des Français en général. » Les effets réels pourraient ainsi être plus marqués que ce que suggèrent les chercheurs, les gros consommateurs d’édulcorants de la cohorte ayant toutes les chances d’en consommer moins que les gros consommateurs de la population générale. Toutefois, même corrigée de nombreux facteurs de confusion, une étude observationnelle ne peut à elle seule démontrer un lien de causalité. « Nous restons prudents et nous appelons à ce que d’autres équipes cherchent à reproduire nos résultats, prévient Mme Touvier. Cependant, ces derniers sont non seulement cohérents avec d’autres études épidémiologiques disponibles, mais aussi avec des études expérimentales, notamment sur des animaux de laboratoires, qui ont conduit à proposer des mécanismes biologiques susceptibles d’expliquer l’association entre édulcorants et maladies cardiovasculaires. »
Conclusions inquiétantes
Parmi ces mécanismes possibles, l’altération de la sécrétion d’insuline – l’hormone chargée de réguler la glycémie – ou encore la perturbation du microbiote intestinal. Les chercheurs mentionnent également l’existence de données, obtenues in vitro ou sur des rongeurs, suggérant un effet délétère des édulcorants sur le système vasculaire. La publication de ces nouveaux résultats intervient quelques mois après que la même équipe a publié, en mars dans la revue PLOS Medicine, et à partir des données de la même cohorte, des conclusions inquiétantes sur le lien entre cancer et édulcorants. Les plus gros consommateurs d’édulcorants de la cohorte avaient un risque accru de contracter un cancer, avec une augmentation du risque du même ordre que pour les maladies cardiovasculaires. Les mois à venir pourraient être charnière pour ces substances : l’Organisation mondiale de la santé et l’Autorité européenne de sécurité des aliments réévaluent actuellement leurs positions officielles sur les éventuels bénéfices et risques liés à ces produits. Avec, face aux exigences de santé publique, un marché mondial de plusieurs milliards de dollars, toujours en forte croissance.
Stéphane Foucart in Le Monde