mercredi 23 octobre 2024
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Les États-Unis se lancent dans une offensive sur les semi-conducteurs avec le projet Chip 4

Réunir à ses côtés les trois pays clés dans le domaine ultrasensible des semi-conducteurs. Voici l’ambition américaine du projet Chip 4. Le plan vise à forger une alliance durable avec Taïwan, la Corée du Sud et le Japon tout en excluant autant que possible la Chine. Ce désir s’inscrit dans un contexte économique tendu, alors que les conséquences de la hausse brutale de la demande de semi-conducteurs durant la pandémie se font encore sentir.

52,7 milliards de dollars, c’est le pactole proposé par Washington afin que les entreprises – américaines comme étrangères – investissent dans la production de semi-conducteurs aux États-Unis. La seule condition est de ne pas investir en Chine durant les dix prochaines années. Un plan inscrit dans le Chip and Science Act, loi signée le 9 août par Joe Biden, lunette de soleil sur le nez, dans les jardins de la Maison Blanche.

L’autre volet de l’offensive américaine est le projet d’alliance Chip 4, prévu pour rassembler quatre des cinq acteurs clés dans la production, ces produits devenus vitaux au fonctionnement économique de notre planète. Ordinateurs, téléphones portables, machines à laver, toute la distribution nos appareils électroniques sont conditionnés au bon fonctionnement du marché des semi-conducteurs.

Réunion des acteurs clés

« Taïwan et la Corée du Sud sont spécialisées dans la fabrication de puces mémoires et la construction de semi-conducteurs de grande qualité, pour le Japon c’est l’apport de matériaux clés. Tandis que les États-Unis, eux, fournissent les équipements et les infrastructures. » rappelle Park Sang-in, spécialiste des chaebols (nom donné aux larges conglomérats sud-coréens) et professeur d’économie à l’université nationale de Séoul. « Ce n’est pas étonnant de voir ces pays qui ont tous des avantages considérables dans le marché des semi-conducteurs se mettre d’accord pour sécuriser les chaînes d’approvisionnement, ce qui est nouveau, c’est de vouloir exclure un acteur ».

Par la voix de Shu Jueting, porte-parole du ministère du Commerce, Pékin, a déjà exprimé vivement son désaccord : « La stabilité de l’industrie et des chaînes d’approvisionnements est un problème global qui nous concerne tous. La Chine estime que quelle que soit la nature d’un accord sur la question, il se doit d’être ouvert et inclusif, plutôt que discriminatoire et exclusif. » Mais c’est à Séoul, à près de 7 000 km de Washington et un peu moins de 1 000 de Pékin, que les secousses du projet de l’administration Biden devraient être les plus fortes. Car si les perspectives de développement aux États-Unis semblent plaire aux deux géants sud-coréens du secteur, Samsung Electronics et SK Hynix, difficile d’abandonner complètement le voisin chinois.

« D’un point vue technologique, il y a une forte dépendance envers les États-Unis et il existe une alliance historique très solide entre nos pays. Mais la Chine est notre principal partenaire économique et le premier consommateur mondial de puces mémoires, la spécialité des deux grandes entreprises sud-coréennes » pointe Oh Jeon-seok, professeur d’économie à l’université Sookmyung de Séoul. « Si on [la Corée du Sud] perd la Chine, on perd un tiers de nos exportations de semi-conducteurs. » Ajoutez à cela que les deux grandes entreprises sud-coréennes du secteur concentrent 40% de leur production de puces en Chine et l’équation semble quasi insoluble pour Séoul.

La question de la participation de Taïwan

Mais pourtant, Washington poursuit son initiative afin que la balance penche totalement en sa faveur. Il faut dire que l’investissement massif de Samsung Electronics dans une nouvelle usine au Texas (17 milliards de dollars) et la promesse du président de SK Hynix à Joe Biden de miser 22 milliards de dollars aux États-Unis, peut inciter à l’optimisme. D’autant que depuis les représailles économiques de Pékin envers la Corée du Sud en 2017 pour l’installation du système de défense anti-missiles THAAD, Samsung a réduit la voilure sur ses investissements chinois. Les effectifs du chaebol dans l’Empire du milieu ont réduit de 70% ces neuf dernières années. « C’est une situation compliquée pour Pékin qui a massivement investi dans les entreprises taïwanaises et sud-coréennes pour la construction de semi-conducteurs », rappelle Park Sang-in. La Chine a besoin de la Corée du Sud qui représentait en 2021 13% de ses importations de puces.

L’éventuelle participation de Taïwan rend évidemment la question plus inflammable. Outre le différend territorial qui oppose l’île de facto indépendante et le continent, TSMC, le leader mondial pour les puces de dernière génération, est taïwanais. Ce dernier, l’un des principaux fournisseurs d’Apple, dispose d’usines à Shanghai et à Nankin. Pour Pékin, le temps presse alors que ses entreprises affichent un retard conséquent sur les concurrents taïwanais et sud-coréens dans la course à la production des puces de dernière génération de 3 ou 5 nanomètres. De son côté, SMIC, le géant chinois du secteur, parviendrait tout juste à atteindre les sept nanomètres. Difficile dans ces conditions d’imaginer Pékin ne pas répondre sévèrement à une tentative d’exclusion d’une chaîne d’approvisionnement vitale pour son économie.

Ambition irréaliste ?

Alors comment isoler complètement le principal consommateur de puces ? Comment découpler la Chine d’une chaîne d’approvisionnement indispensable à l’économie planétaire ? Est-ce réalisable même si le secteur connaît une pénurie mondiale provoquée par la pandémie ? Autant d’interrogations qui restent en suspens jusqu’à ce que les contours clairs d’un accord entre les quatre pays voient le jour.

D’autant que pour Park Sang-in, « si les États-Unis ont leurs propres intérêts à être très offensifs contre la Chine, cela pourrait entrainer des pertes importantes pour la Corée du Sud, le Japon et Taïwan. » L’économiste imagine que les trois pays vont chercher à faire infléchir les États-Unis pour trouver une solution acceptable. De son côté, Oh Jeon-seok estime qu’il faudra rassurer Pékin. « Tout d’abord, la Corée du Sud doit absolument participer à la coalition Chip 4 et puis le défi sera de persuader la Chine que ce n’est pas une exclusion totale des chaînes d’approvisionnement. » Une mission qui semble loin d’être gagnée d’avance dans les circonstances actuelles.

Pour l’heure, Séoul joue la montre. En témoigne la déclaration du ministre des Affaires étrangères sud-coréen, Park Jin, à l’occasion d’une rencontre avec son homologue chinois entre le 8 et le 10 août, estimant qu’une éventuelle participation sud-coréenne « ne viserait pas à exclure ou à cibler un pays en particulier. » Si une rencontre préliminaire devrait avoir lieu prochainement entre les États-Unis et ses trois potentiels partenaires, le ministre de l’Économie taïwanais ce vendredi affirmait ne pas avoir été informé de la tenue d’une réunion. Un dossier loin d’avoir trouvé son épilogue risque de fluctuer au gré des tensions économiques comme géopolitiques.

N. R.