De l’Australie aux États-Unis en passant par le Japon, le Premier ministre indien mène son offensive diplomatique et multiplie les accolades, les tapis rouges et les diners de gala. Pour le défilé de ce vendredi 14 juillet, il est l’invité d’honneur de la France. Narendra Modi est plus que jamais courtisé par les grandes puissances, mais refuse de choisir son camp.
Pour rendre son pays indispensable, Narendra Modi joue sur tous les tableaux. Avec la souplesse du grand adepte de yoga qu’il est et sans être pour le moins gêné, le Premier ministre indien opère le grand écart entre la Russie, son principal fournisseur d’armes, la Chine, le rival hostile à sa porte et les Occidentaux, en quête de nouveaux marchés. Un numéro d’équilibriste qui a un certain succès.
« L’Inde est devenue un acteur incontournable en Asie, observe Tara Varma, chercheuse à l’Institut américain Brookings. Dans la logique de la rivalité systémique de l’Union européenne et des États-Unis avec la Chine, les puissances occidentales ont besoin d’une force amie en Asie. » Selon cette experte, l’Inde est le seul pays dans la région capable d’incarner ce rôle qu’elle serait d’ailleurs tout à fait prête à jouer.
L’Inde ne veut plus se cantonner au rôle de spectateur
« Je suis convaincu que chaque Indien est fier de voir le monde reconnaître le rôle essentiel de l’Inde », affirme l’ambassadeur de l’Inde en France, Jawed Ashraf. « Nous sommes le pays le plus peuplé avec la population la plus jeune du monde, la plus grande démocratie et la cinquième puissance économique, située dans un endroit très stratégique. »
Le diplomate, l’un des visages de la nouvelle diplomatie décomplexée de New Delhi, en est convaincu : l’Inde ne peut plus se cantonner au rôle de spectateur, il est temps pour le pays de prendre des responsabilités pour relever les enjeux mondiaux.
La démocratie indienne, tant vantée par New Delhi, est certes mise à mal par une dérive autoritaire et la répression des musulmans, mais rares sont les dirigeants qui osent encore critiquer l’Inde. Car dans le grand jeu des puissances, le pays a quelques jokers à jouer.
Parmi « les cartes qu’elle a en main », il y a « sa puissance économique puisqu’elle a maintenant dépassé la France et la Grande-Bretagne », explique Jean-Luc Racine, directeur de recherche au CNRS. « Elle mène cette diplomatie qu’on appelle parfois le « multi-alignement », c’est-à-dire qu’elle multiplie les partenariats et n’est pas clairement dans un camp ou dans un autre. »
L’inclassable partenaire joue sa propre partition
L’inclassable partenaire joue sa propre partition. La guerre en Ukraine en est le meilleur exemple. New Delhi n’a pas clairement condamné l’agression russe et ne soutient pas les sanctions contre Moscou, simplement parce que l’Inde achète 45% de son armement en Russie. Par ailleurs, elle dépend des hydrocarbures russes et obtient du gaz et du pétrole russe à très bas prix depuis la guerre.
Au nom de ses intérêts, New Delhi résiste aujourd’hui aux pressions et refuse de se ranger dans le camp occidental, optant pour l’abstentionnisme à l’ONU. « Elle condamne les interventions étrangères, elle exige le respect des souverainetés nationales, mais in fine, elle s’abstient lors du vote », constate Jean-Luc Racine. « Cela avait vraiment agacé Joe Biden. Mais son avantage est qu’elle est un État pivot. On peut nouer des partenariats militaires solides avec elle, parce qu’elle veut se renforcer vis-à-vis de la puissance chinoise. C’est la « realpolitik » à tous les étages, en Inde, aux États-Unis tout comme en France. »
L’Inde, premier importateur d’armes au monde
L’Inde aiguise les appétits de bon nombre de pays. Ces dix dernières années, le pays est le plus grand importateur d’armes au monde. La France est son deuxième fournisseur (29%) devant les États-Unis (11%). D’où l’intérêt de Paris pour New Delhi, mais pas seulement. L’Inde peut aussi aider la France à peser dans la région indopacifique face à la poussée chinoise.
« La France a des territoires dans l’Indopacifique et a envie d’y jouer un rôle actif », analyse Tara Varma. « Évidemment, elle a des partenariats avec l’Australie, le Japon et avec la Nouvelle-Zélande, mais l’Inde est aussi un partenaire clé, il faut s’assurer que l’on peut compter sur l’Inde pendant au moins les 25 prochaines années ».
Reste que l’Inde continuera d’être un partenaire inclassable. Cette année, elle préside aussi bien le G20 que l’Organisation de coopération de Shanghai, une alliance crée par la Chine et la Russie qui se voit comme une alternative à la domination occidentale. Narendra Modi n’est pas à quelques pirouettes diplomatiques près et compte bien profiter de son omniprésence sur la scène internationale avant les élections législatives prévues en 2024.
H. S.