vendredi 29 mars 2024
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Mali : le discret retrait des derniers soldats français de « Barkhane »

Après neuf années d’intervention militaire, Paris a mis fin à l’opération antiterroriste et rendu, sans cérémonie, la base de Gao

Partir en l’annonçant, mais sans bruit. Tel semble avoir été le mot d’ordre de la France pour mettre un point final à une séquence de neuf années d’intervention militaire au Mali. Lundi 15 août, « le dernier détachement de la force “Barkhane” présent sur le sol malien a franchi la frontière entre le Mali et le Niger », a annoncé l’état­-major des armées. Les premiers soldats français avaient été déployés au Mali en 2013 dans le cadre de l’opération antiterroriste « Serval », devenue « Barkhane » l’année suivante. Les derniers, partis lundi, étaient basés au camp de Gao. Cette ville du nord-­est est située dans la zone dite des trois frontières jouxtant le Mali, le Burkina Faso et le Niger, épicentre de l’activité des groupes armés sahéliens liés à l’organisation Etat islamique ou à Al-Qaida. Gao constituait la principale base de l’opération française au Sahel, forte de 5 100 hommes au total, présents au Mali, au Niger et au Tchad. Le retrait militaire français du Mali a commencé fin 2021. Progressivement, « Barkhane » a rendu à l’armée malienne les clés de ses bases de Kidal, Tessalit, Tombouctou, Gossi puis Ménaka. Mais, cette fois, Paris et Bamako semblent s’être épargnés toute cérémonie officielle de passation de pouvoir. Gao était pourtant la plus grande base française en Afrique. Ce départ en catimini est le signe de la tension entre les deux pays, dont les relations se sont progressivement détériorées depuis le coup d’Etat militaire malien d’août 2020.

Se recentrer sur le Niger

Le 28 juillet, en visite officielle en Guinée-­Bissau, le président français Emmanuel Macron jugeait que lutter contre le terrorisme n’était « plus l’objectif » de la junte militaire malienne. « C’est ce qui a présidé notre choix de quitter le sol malien », avait-­il ajouté. Bamako avait dénoncé cette posture « néocoloniale, paternaliste et condescendante ». La « réarticulation du dispositif de l’opération “Barkhane” », selon les termes employés par l’Elysée, devrait permettre de se recentrer sur le Niger. « La France reste engagée au Sahel, dans le golfe de Guinée et la région du lac Tchad », a précisé la présidence française. Pour Paris, « l’efficacité [des soldats français] a été démontrée par la neutralisation de la plupart des hauts cadres de la hiérarchie des groupes terroristes maliens ». Même si ces groupes sont toujours actifs. Le 7 août, à Tessit, dans la région de Gao, au moins 42 soldats maliens ont été tués, rappelant la puissance de feu des djihadistes. Et la menace progresse vers le sud, s’approchant de Bamako. Les pays voisins, bordant le golfe de Guinée, ne sont plus épargnés. Avec le départ de « Barkhane » du Mali, le pays ne risque-­t-­il pas de devenir un sanctuaire pour les groupes djihadistes ? « Ça ne sera plus notre problème », lâche une source diplomatique française, précisant que Paris n’avait « plus de base juridique pour pouvoir frapper les groupes terroristes au Mali ». Depuis plusieurs mois, Bamako mise sur la Russie pour l’aider à lutter contre les djihadistes plutôt que sur la France, l’Union européenne, la Mission des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) ou le G5 Sahel (organisation sous-­régionale réunissant Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Faso et Tchad), à l’encontre desquels la junte a multiplié les critiques et les entraves. En janvier, les premiers éléments du groupe russe de sécurité privé Wagner sont arrivés au Mali. Les livraisons de matériel militaire russe se sont accélérées. La présence de Wagner au Mali – que Bamako continue de nier – a précipité la fin de l’opération « Barkhane » dans le pays, préalablement annoncée par Emmanuel Macron, le 17 février. Un millier de mercenaires russes seraient déployés au nord et dans le centre, y compris dans certaines des bases laissées par « Barkhane ». Plusieurs sources françaises font ainsi part de leur crainte de voir celle de Gao occupée rapidement par les Russes. Ce fut le cas à Tombouctou, Ménaka et Gossi, selon elles.

Anticiper un « coup politique »

En avril, la junte militaire malienne et ses alliés russes avaient accusé les militaires français d’avoir laissé un charnier derrière eux lors de leur départ de la base de Gossi. L’armée française avait alors répondu par une vidéo tournée depuis un drone montrant ce qu’elle affirmait être des mercenaires russes en train d’enterrer des corps près de l’emprise cédée par « Barkhane ». En juin, lors du retrait de Ménaka, une source diplomatique française avait affirmé que Paris a anticipé un « coup politique » de la junte en partant de la base plus tôt que prévu. Selon elle, Bamako cherchait à « financer des manifestations antifrançaises sur le trajet du convoi de “Barkhane”, dans l’objectif que ça dégénère, comme à Tera ». Dans cette localité nigérienne, trois manifestants avaient été tués en novembre 2021, lors de heurts survenus au passage d’un convoi militaire français. Dimanche, à Gao, quelques dizaines de personnes ont manifesté, exigeant le départ immédiat de « Barkhane », décrite sur les banderoles comme le « parrain des groupes terroristes ». Un collectif se présentant comme les « forces vives de Gao » a alors donné un ultimatum de soixante­-douze heures à la France, à l’issue duquel, prévenait-­il, « la circulation de toutes les forces étrangères » serait bloquée.

Morgane Le Cam in Le Monde