jeudi 28 mars 2024
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Visitors looks at the stand of Cartier, owned by the Swiss luxury goods group Richemont, during the opening day of the "Salon International de la Haute Horlogerie" (SIHH), a professional fair in fine watchmaking in Geneva, on January 18, 2016. (Photo by Richard JUILLIART / AFP)

Richemont se sort des griffes de Bluebell

Les actionnaires du numéro deux mondial du luxe ont rejeté les demandes du fonds activiste

C’est une petite victoire pour le milliardaire sud­-africain Johann Rupert. A une écrasante majorité, mercredi 7 septembre, l’assemblée générale des actionnaires du groupe de luxe Richemont, qu’il a fondé en 1988 et préside, depuis lors, d’une main de fer, a rejeté la proposition de Bluebell Capital de nommer Francesco Trapani à son conseil d’administration. Par communiqué, à l’issue de cette assemblée, M. Rupert a souligné « sa profonde reconnaissance » envers tous les actionnaires. Mais, pour le numéro deux mondial du luxe, derrière le français LVMH, « c’est un coup de semonce », avertit Christophe Laborde, analyste financier à Genève au sein de la banque Bordier & Cie. Depuis juillet, le fonds activiste londonien Bluebell faisait campagne pour obtenir un changement de gouvernance au sein du groupe connu pour ses marques Cartier et Van Cleef & Arpels. Présidée par M. Rupert, l’assemblée générale, qui s’est déroulée sur les bords du lac Léman, à Genève, fut « déplaisante », rapporte au Monde Giuseppe Bivona, cofondateur de Bluebell Capital, en déplorant « l’arrogance déraisonnable » et les « intimidations » du président de séance qui, à l’en croire, l’a empêché de s’exprimer. Toutefois, cet ancien banquier de chez Goldman Sachs et Morgan Stanley savait combien la bataille était perdue d’avance. Cette fois, le fonds qui, en France, s’est fait connaître en renversant le patron de Danone Emmanuel Faber en mars 2021, « n’avait aucune chance de voir [ses] propositions aboutir », reconnaît-­il. Entrée au capital en 2021, la société d’investissement milite pour que le conseil d’administration du groupe Richemont représente les porteurs d’actions A. Ces titres composent 90,1 % de son capital, mais offrent moins de droits de vote que les B, détenus par la holding de la famille Rupert à hauteur de 9,1 % du capital et lui accordant 51 % des droits de vote.

« Conflit d’intérêts »

A ce titre, le 20 juillet, Bluebell Capital avait dévoilé vouloir faire entrer son ancien directeur général M. Trapani, en vantant son expérience dans le secteur de la joaillerie ; cet Italien de 65 ans, descendant du fondateur de Bulgari, a été patron de cette filiale de LMVH, avant de rentrer chez Tiffany et d’en être écarté, en décembre 2019, au lendemain de l’offre de rachat du joaillier new­yorkais par le groupe de Bernard Arnault. Selon les dirigeants de Bluebell, il aurait eu « beaucoup » à apporter au groupe dont les ventes ont atteint 19,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires sur son dernier exercice clos fin mars. Mais, à l’évidence, le pedigree de M. Trapani n’était pas du goût de M. Rupert. Lundi 8 août, c’est le veto : l’homme d’affaires recommande de voter contre cette candidature sujette à « conflit d’intérêts » ; il propose alors la nomination de Wendy Luhabe, qui siège au conseil depuis 2020, pour qu’elle représente les porteurs d’actions A. Sans surprise, l’assemblée générale des actionnaires a donné raison à celui qui détient 51 % des droits de vote. Mme Luhabe a rassemblé près de 84 % des suffrages. Les deux autres propositions de Bluebell Capital qui portaient sur la création de sièges pour les porteurs d’actions A ont également été rejetées. En dépit de ce camouflet, Bluebell Capital se montre satisfait. Le fonds activiste se félicite d’avoir « été le premier à faire prendre conscience » du manque de représentativité du conseil d’administration de Richemont. L’assemblée générale aura aussi été l’occasion de « démontrer combien son actionnaire se comporte comme si le groupe était une société privée non cotée », se félicite M. Bivona. Or, estime ce dernier, plusieurs décisions s’imposent à Johann Rupert (72 ans). A commencer par préparer sa succession. En dépit de ses déclarations dans la presse évoquant son plan, M. Rupert n’a pas dévoilé qui pourrait le remplacer. « Dans un groupe dont la capitalisation boursière atteint 62 milliards d’euros, ce manque de communication laisse sans voix », estime le cofondateur de Bluebell. A l’en croire, le groupe mériterait aussi d’être « retaillé », à l’instar des pierres précieuses qui font sa réputation. Richemont, dont 15 des 19 milliards d’euros de ventes proviennent de la joaillerie et des montres, sous les marques Cartier, Van Cleef & Arpels, IWC ou Jaeger­-LeCoultre, « doit se séparer de ses activités déficitaires », selon le fonds activiste, notamment dans le secteur du prêt-­à­-porter et du luxe dit accessible. C’est­-à­-dire la marque de mode Chloé, les briquets Dunhill ou les stylos Montblanc. Le sujet est un serpent de mer maintes fois évoqué par les analystes financiers, rappelle M. Laborde. Mais, désormais, depuis les injonctions de Bluebell Capital, M. Rupert ne serait plus en mesure de « s’en moquer », selon ce dernier. Déjà, l’homme d’affaires a soldé son investissement aventureux dans le secteur de l’e-commerce de produits de luxe. En août, au prix d’une coûteuse dépréciation – 2,7 milliards d’euros –, le groupe Richemont a annoncé en effet la cession de 47,5 % de Yoox Net-­a­-porter, plateforme de vente en ligne, à son concurrent Farfetch. Bluebell veut y voir un signal de changement au sein du groupe suisse. « Le chemin sera long, admet toutefois M. Bivona, tout comme il l’a été dans le dossier Solvay. » Le fonds activiste se félicite d’avoir obtenu du chimiste belge, mardi 6 septembre, qu’il « réduise le rejet de résidus calcaires » en Italie. Une décision que Bluebell Capital dit avoir décrochée après « trois ans de relations conflictuelles » avec sa dirigeante, Ilham Kadri.

Juliette Garnier  in Le Monde