Depuis dimanche, des combats opposent des combattants druzes, communauté présente dans cette région du pays, à des Bédouins, appuyés par les forces gouvernementales. Et ce mardi 15 juillet, les violences ont gagné la principale ville de la province, Soueïda, faisant de nouvelles victimes : au moins 19 personnes ont été tuées, selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme. Le bilan des violences depuis dimanche s’élève à 203 morts, a annoncé mardi soir l’OSDH.
C’est dans la matinée que les combats ont éclaté à l’intérieur de la ville. Pour la première fois depuis le changement de régime en décembre dernier, les troupes des nouvelles autorités sont entrées dans Soueïda jusque-là contrôlée par des factions druzes, la communauté majoritaire dans cette région.
La plupart des chefs religieux druzes avaient pourtant demandé aux combattants de remettre leurs armes aux forces de Damas. Mais une des trois figures spirituelles influentes de la communauté a fait volte-face, accusant le gouvernement de ne pas avoir respecté sa promesse d’entrer pacifiquement dans la ville.
Des exactions malgré un accord de cessez-le-feu
Finalement, au bout de quelques heures, un accord de cessez-le-feu a été annoncé par le ministre de la Défense. Mais des habitants ont témoigné de tirs après cette annonce ainsi que d’exactions tout au long de la journée : des exécutions, pillages et maisons brûlées par les forces gouvernementales.
À cela s’ajoute un troisième protagoniste. Depuis la chute de Bachar el-Assad, Israël intervient aussi militairement dans cette province syrienne : avancées au sol et bombardements aériens. Le pays dit vouloir empêcher les nouvelles forces gouvernementales de se déployer dans cette région. Et depuis qu’elles sont entrées dans Soueïda ce matin, la ville a été bombardée par l’aviation israélienne à plusieurs reprises.
Selon l’OSDH, le bilan des affrontements et des exécutions sur le terrain à Soueïda depuis dimanche matin 13 juillet s’élève désormais à 203 morts. Parmi eux, 92 Druzes, dont 21 civils exécutés sommairement par des membres des ministères de la Défense et de l’Intérieur, 93 membres des forces gouvernementales, et 18 Bédouins.
Le chaos au milieu du champ de bataille
Les affrontements ont transformé Soueïda, la plus grande ville druze du pays, en un champ de bataille. Dans l’un des hôpitaux du gouvernorat, tenu par le ministère de la Santé, les ambulances arrivent sans discontinuer. Civils et militaires blessés sont évacués depuis les lignes de front. Le directeur parle de chaos : trop peu de personnel, pas assez de matériel, et un flux constant de blessés graves.
Dans la ville, les rues sont désertes. Devant certaines maisons en flammes, des corps gisent encore, recouverts à la hâte. Une fumée âcre stagne dans les quartiers touchés. Les vitrines des magasins sont brisées. Des hommes casqués, armés, repartent avec des cartons. Des ballets de pick-up de l’armée et de la sécurité intérieure roulent à toute allure sur la route reliant Soueïda à Deraa. Des soldats entrent dans les habitations, fouillent, parfois s’y installent. Les tirs se sont espacés, mais la peur reste omniprésente.
Sur d’autres axes, des groupes civils venus des villages alentours arrivent à moto, souvent par groupes de 20 à 30. Certains s’improvisent en milices armées. D’autres viennent piller ou disent vouloir soutenir les nouvelles autorités. Ils repartent avec des motos, des voitures ou des produits de première nécessité abandonnés dans les commerces. Les nouvelles autorités ont tenté de mettre en place des barrages pour vérifier les cartes grises et limiter les vols, mais les pillages restent massifs et incontrôlables.
Soueïda est aujourd’hui plongée dans le chaos.
En Syrie, les défis des autorités gouvernementales dans l’intégration des minorités
Il y a eu les attaques contre la communauté alaouite, qui auraient pu être analysés comme une punition collective, surtout en l’absence de mécanisme de justice transitionnelle. Il y a aussi eu des pillages à grande échelle. Dès l’arrivée au pouvoir des nouvelles autorités syriennes, pour les autres minorités de Syrie, la question s’est posée : est-ce que cela allait se limiter aux Alaouites ? Les violences contre les Druzes – les récentes, mais aussi celles de fin avril – ont montré que ce n’était pas le cas et ces incidents se sont accompagnés d’un déferlement d’animosité sectaire contre cette communauté.
Les dirigeants actuels de la Syrie se sont efforcés de traduire la plupart de ces violences en accords politiques, mais d’après des analystes, ces affrontements ont surtout ébranlé la confiance que les Syriens doivent avoir les uns envers les autres pour que la transition réussisse et les problèmes structurels qui ont hanté la Syrie depuis sa création moderne n’ont fait que se réaffirmer.
En clair, si les dirigeants syriens continuent à poursuivre un modèle de gouvernance centralisé et excluant, ils sèmeront les graines de futurs conflits, de la fragmentation et de l’échec de l’État. « Il faudrait une vision qui embrasse le patriotisme syrien et la riche diversité de la Syrie, plutôt que le nationalisme arabo-islamique », suggère un éditorialiste à Damas, « afin d’offrir à la Syrie une véritable chance de construire un État depuis sa base. »
M. B.